Sur les traces d’une comète

Le roman d’Alain Blottière a pour narrateur un cinéaste qui réalise un film de fiction sur Thomas Elek, du groupe Manouchian.

Christophe Kantcheff  • 17 septembre 2009 abonné·es

Une coïncidence. Le roman d’Alain Blottière paraît au moment où sort le film de Robert Guédiguian sans que les deux hommes n’aient eu préalablement connaissance du projet de l’autre. Or, non seulement l e Tombeau de Tommy porte sur Thomas Elek, mais il raconte l’histoire d’un cinéaste réalisant un film de fiction sur celui que l’Affiche rouge a ainsi désigné : « Juif hongrois 8 déraillements »  ! Rapprocher les deux œuvres est évidemment tentant, où l’on constate, par exemple, que, les deux auteurs ayant puisé aux mêmes sources documentaires, certaines séquences du scénario livrées dans le roman (et donc tournées par le cinéaste fictif) se retrouvent, à peu de chose près, dans l’Armée du crime.

Mais l e Tombeau de Tommy doit être d’abord considéré comme une œuvre à part entière pour en mesurer l’ambition singulière. Sa complexité narrative est particulièrement frappante. Alain Blottière mêle trois temporalités par la voix du cinéaste, son narrateur. Celle du jeune Thomas Elek, au profil tranchant : orgueilleux, intrépide, ­intransigeant, éprouvant pour sa mère, elle-même résistante, un amour exclusif ; celle du scénario en train d’être tourné ; et celle de son jeune interprète, Gabriel, un pari du cinéaste, car le garçon, rencontré dans la rue, n’avait jamais fait l’acteur. Ces trois fils agissent les uns sur les autres comme des jeux de miroir, le point de rencontre étant le cinéaste lui-même, à la recherche du délicat équilibre entre la réalité historique, les enjeux artistiques et les réactions de son comédien.

Car il y a au cœur du livre une interrogation sur l’effet que peut avoir aujourd’hui la trajectoire fulgurante de Thomas Elek. Devant la caméra, Gabriel se révèle un Thomas Elek criant de vérité, mais il s’en imprègne si violemment qu’il est submergé par lui. Et c’est ici peut-être, au-delà des nombreux croisements entre le roman et le film (les deux cinéastes, le fictif et Robert Guédiguian, partagent ainsi un certain nombre de questions esthétiques), que les deux œuvres se séparent nettement. L’identification à un héros « parfait » est un enjeu qui concerne autant la littérature que le cinéma. Mais est-elle possible ? À la différence de l’Armée du crime , qui joue sur la familiarité de ses personnages, qui deviennent ainsi des héros « accessibles », l e Tombeau de Tommy montre comment un jeune homme d’aujourd’hui se consume en pénétrant dans l’intimité de la comète Thomas Elek. Ce qui rend bien sûr d’autant plus intense le roman d’Alain Blottière, tout en en renforçant sa dimension désespérée.

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L'armée du crime : vivre et résister
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