Un amour en roue libre

« Au voleur », de Sarah Leonor, est un film à la subversion douce, où Guillaume Depardieu joue magnifiquement un de ses tout derniers rôles.

Christophe Kantcheff  • 1 octobre 2009 abonné·es

La silhouette décharnée, enserrée dans un blouson élimé, le regard bleu toujours aux aguets, le corps couvert de cicatrices, Guillaume Depardieu interprète dans Au voleur, de Sarah Leonor, l’un de ses tout derniers rôles. Comme dans Versailles, de Pierre Schoeller, tourné un an plus tôt, c’est celui d’un marginal. Bruno vit de multiples larcins mais n’est pas SDF. Il habite un immeuble où il loge en dépannage un vieil ami sortant de prison, à côté d’une voisine élevant seule son fils, un adolescent qui s’adonne au trafic de cigarettes.

On ne répétera jamais assez que Guillaume Depardieu était un acteur magnifique, irradiant, la sensibilité à fleur de peau. Il trouve ici une partenaire à sa mesure : Florence Loiret Caille, vue notamment dans les films de Jérôme Bonnell. Florence Loiret Caille détonne parmi les jeunes comédiennes d’aujourd’hui. Quelque chose dans son physique, sa vivacité, son air insoumis, rappelle Juliet Berto. C’est dire si elle est singulière. Dans Au voleur , elle est une Isabelle toujours inattendue, d’abord en professeur d’allemand disant avec intensité un poème dans le texte devant ses élèves de collège, puis en amoureuse de Bruno, n’hésitant pas à le suivre dans sa cavale, quand les gendarmes sont à ses trousses pour un vol de voiture.
Mais Au voleur ne vaut pas seulement pour ses deux acteurs principaux, entourés par d’autres comédiens de talent : Jacques Nolot, Fejria Deliba et Rabah Naït Oufella. Le premier long-métrage de Sarah Leonor lui aussi sort de l’ordinaire. Il déjoue à peu près tous les pièges et stéréotypes des œuvres inaugurales. Et se distingue aussi nettement du tout-venant du cinéma français.

Après une première partie réaliste sans être naturaliste, la cinéaste fait basculer son film dans une atmosphère orinique. La cavale est une figure classique du cinéma (encore présente récemment dans le dernier film d’Alain Guiraudie, le Roi de l’évasion ). Sarah Leonor la traite ici davantage sur le mode de l’échappée poétique que sur celui de la traque policière.
Après une course-poursuite en voiture filmée avec beaucoup d’efficacité (là aussi, un classique du cinéma), Isabelle et Bruno glissent dans une barque sur une rivière qui traverse des clairières et des sous-bois baignés par une douce lumière estivale. Le couple se retrouve comme deux Robinson dans une nature quasi immaculée, loin de la civilisation. À nouveau, la cinéaste joue sur tous les registres d’évocation cinématographique, notamment avec une bande-son extrêmement choisie, composée de musiques anglo-saxonnes rustiques et telluriques. Elle a aussi l’audace de convoquer des références énormes : la dérive nocturne, sur une barque très semblable à celle d’Isabelle et Bruno, des deux enfants de la Nuit du chasseur , ou, plus près de nous, celle de Dead Man , le film de Jim Jarmush, avec sa lente descente fluviale d’un homme blessé. Ces clins d’œil ne sont pas seulement là pour le plaisir du cinéphile, ils ont aussi une véri­table charge poétique.

Si Au voleur n’est certainement pas un film éthéré, à l’image de l’amour entre les deux fugitifs, au contraire très passionnel tout en étant joyeux et libre, il laisse passer parfois des signes de froideur, à force d’une trop grande volonté de maîtrise formelle. Péché véniel. Au voleur est un film sans ficelle ni facilité. À la subversion douce. Une réussite.

Culture
Temps de lecture : 3 minutes