« C’est dans la rue que ça se réglera ! »

En Guadeloupe, le LKP reste très motivé. Son porte-parole, Élie Domota, envisage un retour des mobilisations face aux multiples entorses subies par l’accord de sortie de crise du 4 mars dernier.

Patrick Piro  • 5 novembre 2009 abonné·es

Politis : L’Autorité de la concurrence vient de rendre un rapport très critique sur le niveau élevé des prix dans les DOM, principale source de mécontentement en Guadeloupe. Qu’attendez-vous de l’État ?

Élie Domota : Nous sommes bien sûr satisfaits de voir que l’Autorité de la concurrence corrobore les très importantes distorsions que nous avons constatées. C’est sur cette base que nous avons mis le gouvernement devant ses responsabilités au début de l’année. En réponse, il recrute une dizaine d’inspecteurs supplémentaires pour la répression des fraudes, mais ils n’ont aucune action sur les prix, dont on nous répète inlassablement que la fixation est une liberté intangible ! Des produits jusqu’à trois, voire six fois plus chers qu’en France ? C’est légal, répond-on. Nous, nous appelons ça du vol ! Il est clair que les Guadeloupéens sont abusés depuis longtemps, et qu’ils sont dépouillés de leurs revenus, en toute légalité. Nous ne pouvons pas l’accepter !

La seule voie pour faire baisser les prix, selon l’État, c’est d’accroître la concurrence. Bien au contraire, nous considérons qu’il faut aller vers une réglementation des marchés, avec un système de prix administrés. La ­Guadeloupe est déjà très bien pourvue en commerces. Veut-on la couvrir de supermarchés ? Nos 50 000 hectares de terres agricoles, il faut les consacrer à développer une production locale qui permettra de réduire notre dépendance aux coûteuses importations. D’ailleurs, c’est une incidence positive des prix élevés, les Guadeloupéens font de plus en plus attention à ce qu’ils consomment, et se familiarisent à nouveau avec les produits locaux.

Plusieurs élus locaux, dont Victorin Lurel, président PS du conseil régional, réclament à l’État l’application en Guadeloupe du RSA, qui serait financièrement plus avantageux que le RSTA, le complément de salaire fixé par l’accord de mars dernier. Qu’en pensez-vous ?

Ils jouent le même rôle que le Medef, qui est résolument opposé au mouvement social ! Je demande à ces élus, si revendicatifs aujourd’hui : où étiez-vous lorsque notre pays a été exclu de la loi RSA jusqu’en 2011, au prétexte d’un manque de visibilité quant à la situation sociale ?
Nous défendons pour notre part les 200 euros d’augmentation de salaire que nous avons obtenus, actés par les accords, car il s’agit d’un gain pérenne. Alors que le RSA est une allocation fluctuant en fonction de la situation familiale et sociale des ayants droit. Défendre le RSA contre le RSTA, c’est privilégier l’assistanat et la précarisation contre des contrats à durée déterminée et les conventions collectives. Ces élus, comme le Medef, incitent in fine les travailleurs à accepter des demi-emplois en les poussant à aller réclamer le complément au guichet du RSA !

Le président Sarkozy va s’exprimer sur la suite à donner aux états généraux de l’outre-mer. Qu’en attendez-vous ?

Tout d’abord, il a été dit que le LKP l’avait « boycotté ». Mais il n’a surtout jamais été invité en tant que tel à participer à cette concertation ! Plusieurs personnalités du mouvement social ont été conviées, y compris moi, mais au titre du mandat qu’ils occupent dans leur organisation [^2]. Ces états généraux sont présentés comme une réponse ultime à la crise des DOM, mais c’est une vaste mascarade orchestrée par l’État, dont la population n’a eu aucune connaissance !
Et puis tout le monde sait bien que c’est Sarkozy qui prendra seul sa décision. Marie-Luce Penchard, secrétaire d’État à l’outre-mer, est venue en Guadeloupe début octobre, prétendument pour évaluer les points qui bloquent l’application de l’accord du 4 mars – prix des marchandises, hausse des carburants, application de l’accord salarial, etc. Elle a promis de revenir « très rapidement » pour faire avancer les choses. Mais je n’en crois rien, car nous sommes convaincus que l’État n’a pas de réponses de fond à nos questions. C’est du cinéma politique…

En janvier, la Guyane et la Martinique voteront pour la possibilité de renforcer leur autonomie. En Guadeloupe, les élus ont préféré surseoir à la demande d’un tel référendum. Le LKP y serait-il favorable ?

Cette réforme des collectivités locales, c’est encore une habileté de Sarkozy pour détourner l’attention des questions de fond. Que résoudrait un surcroît d’autonomie politique, avec des compétences élargies et financées par des ressources locales ? Au fond, ce que veut Sarkozy, c’est un modèle à l’allemande, qui autoriserait des dérogations locales aux lois nationales, y compris dans le domaine social, afin de mettre les régions en concurrence. L’examen du bac obtenu à Pointe-à-Pitre vaudra-t-il un jour moins que celui délivré à Paris ? Sous couvert d’autonomisation, on cherche à nous fourguer une pseudo-solution qui ne répond absolument pas à nos besoins. Et nos besoins, c’est un développement économique de la Guadeloupe financé par la France, au nom de la dette coloniale, et principalement du commerce triangulaire, qui lui a permis, grâce à l’esclavage, de devenir un grand pays.

Avez-vous le sentiment que les rapports entre la métropole et les DOM restent de nature coloniale ?

Oui, le mépris est permanent. On a changé d’époque, mais nous vivons toujours sous le modèle de la société plantation, structurée autour de la culture de la banane et de la canne à sucre pour l’exportation. Et rien ne bougera tant que cet état d’esprit perdurera. Mais, aujourd’hui, les choses ne peuvent que changer, car la société guadeloupéenne a pris conscience de la situation, et aspire à une société plus juste. On ne nous fera plus avaler les pwofitasyons… Et nous sommes convaincus que c’est dans la rue que ça va se régler !

[^2]: Élie Domota est secrétaire général de l’Union générale des travailleurs de Guadeloupe (UGTG), principal syndicat de l’île.

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