Logement opposable : droit dans le mur

Près de deux ans après son entrée en vigueur, la loi Dalo présente un bilan médiocre. Selon les associations, elle ne pourra être appliquée correctement si on ne construit pas 180 000 logements sociaux par an.

Laurence Texier  • 26 novembre 2009 abonné·es
Logement opposable : droit dans le mur

La loi est la même pour tous. Sauf pour l’État. Les oubliés de la loi sur le droit au logement opposable (Dalo), entrée en vigueur le 1er janvier 2008, manifestaient encore le 18 novembre à Paris, en solidarité avec les 15 000 familles mal logées ou sans toit d’Île-de-France. Karima est de celles-là. Sa situation avait pourtant été « reconnue prioritaire le 29 juillet 2008 » . Une bouffée d’espoir pour cette mère de famille qui vit avec ses trois enfants dans un appartement de 25m² frappé d’un arrêté d’insalubrité. L’un des critères d’éligibilité au Dalo, une loi qui a inscrit dans le marbre que «  le droit à un logement décent et indépendant est garanti par l’État à toute personne qui n’est pas en mesure d’y accéder ou de s’y maintenir » . Mais Karima, comme 93,5 % des demandeurs prioritaires parisiens et 75 % des demandeurs franciliens, est toujours en attente d’une proposition de logement, après bientôt deux ans d’application du Dalo.

« Un toit, c’est la loi, mais malheureusement, la loi n’est pas encore appliquée » , déplore Droit au logement (DAL). Sur les 20 900 dossiers reçus par la préfecture de Paris depuis le 2 janvier 2008, seuls 710 ont débouché sur un relogement. Une exception parisienne, argumente Jean-Yves Guéranger, d’ATD-Quart Monde, l’une des rares associations à dresser un bilan positif des premiers pas de la nouvelle loi. Le comité de suivi faisait état de 11 411 demandeurs relogés sur 89 500 recours déposés en France à la fin du mois de juin. Au-delà des chiffres, les lenteurs et incohérences du dispositif interpellent. « Le préfet envoie la police pour expulser une famille qui a été reconnue prioritaire. Alors que, dans le même temps, l’État est condamné par le juge administratif à reloger cette famille expulsable » , s’indigne Dalila Abbam, juriste au DAL. «  Ça commence à devenir un droit clientéliste » , s’alarme pour sa part Jean-Baptiste Eyraud, le président du DAL. « On a constaté des refus vraiment injustifiés. Certains ont été déboutés alors qu’ils vivent dans des conditions catastrophiques » , poursuit Dalila Abbam.

Pour les candidats déclarés prioritaires par la commission de médiation, le parcours « jonché d’étapes » ne fait que commencer. Nicole Rein est indignée. Avocate honoraire au DAL, elle énumère les cas de familles toujours dans l’incertitude. « Que dit la commission ? Elle dit relogement d’urgence et prioritaire » . Or, deux ans peuvent s’écouler entre la constitution du dossier et la proposition de relogement, contre six mois prévus par la législation après le passage devant la commission. Le demandeur prioritaire peut toujours tenter un recours contentieux devant le tribunal administratif. Le tribunal de Paris a ainsi rendu 930 jugements, dont 902 favorables au requérant. Et condamné l’État à verser des astreintes par jour de retard. Olivier Filliette, le sous-directeur de la politique de l’habitat à la préfecture de Paris, avait estimé que ces astreintes pourraient s’élever à plusieurs dizaines de millions d’euros par an. Le coût de ce non-respect de la loi sera finalement bien inférieur. Et cela en raison de la loi Boutin sur la mobilisation et la lutte contre l’exclusion (Molle) du 25 mars 2009, qui a fait, entre autres mesures, passer le montant de ces astreintes d’une centaine à une dizaine d’euros par jour. « La majorité libérale de ce pays souhaiterait à terme vider la loi Dalo de son contenu », s’inquiète Jean-Baptiste Eyraud.

Pour Serge Incerti-Formentini, le président de la Confédération nationale du logement (CNL), la loi Molle n’est rien de moins qu’un « cadeau au secteur privé, puisque l’aide apportée au secteur social n’est même pas le quart de celle apportée au privé ». Alors même qu’ « il faudrait une construction annuelle de 180 000 logements sociaux par an » pour permettre au logement opposable d’être réalisable. La loi sur la Solidarité et le renouvellement urbain (SRU) du ­13­ dé­cembre 2000, qui impose théoriquement aux communes de plus de 3 500 habitants de disposer d’au moins 20 % de logements sociaux, n’aura pas suffi à mettre un terme à la pénurie. Pas plus que le Fonds d’aménagement urbain, qui, alimenté grâce aux recours contentieux, doit servir à aider les communes en panne d’habitations à bas coût. La destination des sommes versées par l’État en cas de condamnation laisse d’ailleurs les associations d’aide au logement songeuses. « Les victimes obtiennent réparation en alimentant le même fonds que les coupables » , souligne Jean-Baptiste Eyraud.

Pour contourner ce manque structurel de logements, le DAL avance plusieurs solutions. La loi de réquisition de 1995 pourrait ainsi s’appliquer à quelque 40 000 logements vacants à Paris. Et le développement de dispositifs comme Solibail permettrait aux demandeurs de HLM de bénéficier d’un loyer peu élevé et au propriétaire privé de bénéficier d’avantages financiers. « Il faut trouver une solution parce que ces familles qui vivent dans des hôtels délabrés, insalubres, sont dans l’urgence » , affirme Mohammed Ould Hammadi, du collectif des demandeurs Dalo. Une situation d’autant moins compréhensible que l’hébergement à l’hôtel coûte autour de 3 000 euros par mois. Or, chaque jour, l’État paye plus de 8 000 nuitées d’hôtel.

Le Collectif des mal-logés en colère, qui regroupe une centaine de mal-logés franciliens, n’a jamais cru que le Dalo serait la solution. « Entre une personne qui ne peut plus manger le 15 du mois parce que son loyer est trop élevé et une personne qui est hébergée à l’hôtel, comment dire laquelle est prioritaire ? » , s’interrogent-ils. « La loi ne résout pas systématiquement les problèmes. C’est bien le drame de la loi Dalo, finit par trancher Olivier Filliette. Elle a été votée dans un moment de passion [les Enfants de Don Quichotte occupaient alors le canal Saint-Martin]. Moralement, un parlementaire ne pouvait pas ne pas la voter. » Certains diront, comme ATD-Quart Monde, qu’il faut lui laisser le temps de faire ses preuves. D’autres, tel Serge Incerti-Formentini, argueront que cela arrivera seulement dans le cadre d’ « une vraie politique du logement » . Pour l’heure, le droit au logement opposable ressemble plus à une procédure d’urgence modelée à la hâte qu’à une véritable sortie de crise du mal-logement.

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