Une vision positiviste

Esther Benbassa  • 5 novembre 2009 abonné·es

L’ouvrage de Shlomo Sand soulève maintes interrogations sur israélité, judéité, et tout simplement sur la formation de tous les peuples, y compris le peuple palestinien.
Insidieusement, un doute saisira le lecteur. Pourquoi, comment ce livre a-t-il connu un tel succès en France (plus de 45 000 exemplaires vendus) ? L’a-t-on acheté pour de bonnes raisons, ou simplement pour mieux pouvoir se dire que le peuple juif est une invention ? Mais un auteur ne décide pas des motivations de ses lecteurs…

Au-delà des procès d’intention, ne peut-on simplement reconnaître qu’une telle lecture invite l’historien à quelques réflexions. Sand ne s’interroge peut-être pas assez sur la nature profonde de cette « construction » qu’est la notion de peuple. Qu’elle soit construite n’empêche pas qu’elle finisse par s’incarner dans le réel. En cela, il se situe dans la tradition positiviste de l’histoire, qui ne prend pas en considération, comme facteur historique majeur, la représentation que les groupes se forgent d’eux-mêmes.
En l’occurrence, surtout à partir du Moyen Âge, période que l’auteur étudie peu, on assiste à l’élaboration de cette perception juive collective de soi, et par là à l’élaboration d’une sorte d’identité de groupes hétérogènes, mais unis, malgré les différences de langues, de cultures et de rites. On vit en diaspora avec cette idée de plus en plus forte de particularité, le regard tourné vers Jérusalem, mais les pieds enracinés en diaspora.

La naissance de l’imprimerie renforce les liens entre les différents groupes juifs grâce à la circulation des idées. Des hommes s’aventurent dans les communautés pour collecter de l’argent pour les juifs de Terre sainte ou pour aller étudier dans les académies religieuses de grande réputation. Ce qui va un peu plus tard permettre aux idées des Lumières juives de se propager et, avec elles ou dans leur sillage, le sionisme. S’il n’y avait pas eu cette idée d’un peuple imaginé, comment comprendre cette circulation ?
L’ère contemporaine donnera l’occasion aux philanthropes européens de créer des réseaux d’entraide qui sont l’expression de cette représentation de peuple.

Comment le peuple juif fut inventé ? Peut-être les réponses sont-elles multiples, et plus équivoques que ne le dit ce livre. Lequel a toutefois le mérite de susciter, du sein même des méandres de son texte, des questions nouvelles.

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