Bilan des années 2000 : gouverner, c’est échouer

Jean-Marie Harribey  • 4 février 2010 abonné·es

L’année qui vient de s’achever laisse un goût amer. Au plus fort d’une crise qui met en jeu toutes les conditions sociales et écologiques de la vie des sociétés, les gouvernements réunis au sein du G20 à Londres et à Pittsburgh comme l’ensemble des représentants des États rassemblés par l’ONU à Copenhague se sont séparés sur des constats d’échec. D’un côté, aucun signe de volonté de désarmer les marchés financiers n’est venu de la part du G20 : les capitaux circulent, les paradis fiscaux prospèrent, et les profits financiers sont repartis requinqués. Certes, ici ou là, quelques voix officielles se sont fait entendre pour « étudier la faisabilité d’une taxe sur les transactions financières » , mais, comme effrayées par leur propre audace, ont aussitôt ajouté qu’il fallait « rassurer les marchés ».

D’un autre côté, le sommet de Copenhague a mis au grand jour les contradictions du protocole de Kyoto. Au moins trois minaient celui-ci de l’intérieur. Les négociateurs avaient considéré que des solutions techniques viendraient à bout des désastres écologiques grâce à la substitution des ressources entre elles, ce qui permettait de laisser au marché le soin de décider leur affectation. Ils avaient aussi choisi de reporter sur le Sud un poids écologique de plus en plus important par le biais de l’exportation des industries polluantes et par celui du rapatriement de crédits carbone grâce au « mécanisme de développement propre ». Enfin, ils pensaient régler entre « grands » la question climatique, ce qui excluait les petits pays et les pays pauvres des décisions, de même que les citoyens du monde entier.

Sur ces trois aspects, l’échec du sommet est total : le marché du carbone ne résout rien, il ouvre au contraire un nouvel espace de spéculation ; le Sud n’entend plus se contenter de demander l’aumône ; et, par contraste, la présence active de la société civile à Copenhague est porteuse d’avenir.
Tout cela montre qu’il faut choisir entre réguler le climat, l’économie, la société par le marché et imposer au marché les normes de la société. Cette alternative est désormais explicite : il s’avère que, dans le cas de la lutte contre le réchauffement climatique, la fixation de taxes pourrait être plus efficace que l’échange de permis d’émission de gaz à effet de serre (GES) sur le marché. Cela est même démontré par les économistes de l’environnement, peu suspects de mauvaises intentions à l’égard du capitalisme : le réchauffement climatique étant dû à la concentration de GES (un stock qui varie peu à court terme), les coûts marginaux de réduction des émissions augmentent plus vite que les coûts marginaux des dommages, et l’incertitude qui entoure les questions de coûts se solde par une erreur moindre en fixant une taxe plutôt qu’en laissant le marché fixer le prix.

Mais, au-delà de cet aspect technique complexe, la politique reprend ses droits : la récente décision du Conseil constitutionnel d’annuler la taxe carbone projetée par le gouvernement français comporte un risque et en même temps peut être une chance. Un risque, parce qu’elle peut contribuer à délégitimer une idée juste que seuls l’impéritie ou le cynisme sarkozyens avaient condamnée par avance en rompant le principe d’égalité devant l’impôt et en alignant la taxe sur le prix du marché. Une chance, car on peut en profiter pour proposer de supprimer les marchés de permis, à l’instar de Michel Rocard ( les Échos, 6 janvier), au profit d’une taxe carbone. À condition de ne pas écouter le Medef ( le Monde, 12 janvier), qui saute sur l’occasion pour demander en compensation une baisse des cotisations sociales et qui se lamente à la pensée que les industriels pourraient « être mis deux fois à contribution » alors que les quotas qu’ils reçoivent sont gratuits.
Les années 2000 s’étaient ouvertes dans une ambiance euphorique pour le capitalisme. Elles se terminent par un fiasco général, auquel les gouvernements des pays les plus puissants ont pris une part active, par les politiques qu’ils ont menées. Auraient-ils voulu donner corps à une nouvelle maxime, « gouverner, c’est échouer », qu’ils ne s’y seraient pas pris autrement.

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