BP nettoie son image plutôt que la mer

Les communicants de la compagnie pétrolière déploient une activité considérable pour minimiser les dégâts de la marée noire et médiatiser leurs « efforts désespérés » pour en venir à bout.

Claude-Marie Vadrot  • 17 juin 2010 abonné·es

Trois jours après l’explosion, l’énorme machine à communiquer de BP s’est mise en route. Pas de réunion d’un club de loisirs, d’une association locale de pêcheurs, de résidents, d’écologistes, de scientifiques locaux, de volontaires de nettoyage sans que se pointe par miracle au moins un représentant de la société pétrolière. Avec des arguments, des paroles rassurantes ou des promesses. Avec, en prime, tout ce qu’il faut pour améliorer l’ordinaire des réunions et des associations. Besoin de matériel, d’un réfrigérateur, d’un ventilateur, de chaises, d’eau minérale, d’une boisson gazeuse, d’un ordinateur, d’un vidéoprojecteur ou d’un tableau ? Pas de problème, le représentant de BP passe un coup de fil, et le matériel débarque. Ritournelle de ces envoyés très spéciaux auprès de la population qui s’inquiète : « Nous avons tous un problème, nous allons le résoudre ensemble. » Les séances de formation des nettoyeurs de plage sont organisées par des instructeurs puisés chez BP. Si les protecteurs de la nature se réunissent pour évoquer les dégâts sur les animaux, qu’il s’agisse des tortues ou des oiseaux, un « naturaliste » payé par la société se pointe à la réunion, pour relativiser intelligemment les inquiétudes.
Un journaliste spécialisé de la Nouvelle-Orléans a fait les comptes : depuis le début, plus de 3 000 salariés de BP parcourent la région. Pas une mairie ni une administration n’échappent à cette « marée humaine ». Partout, les salariés du pétrolier distribuent des argumentaires simplifiés vantant leurs efforts et minimisant les dégâts. Avant chaque tentative de juguler la fuite, ils ­mettent en scène la réussite imminente. Au niveau local et national, y compris auprès de la Maison Blanche, qui ne demande qu’à être rassurée, ils organisent un spectacle permanent qui détourne l’attention de la pollution au profit de leurs efforts.

Objectif des communicants dirigés par Irvin Lipp : persuader que BP fait tout ce qu’elle peut, qu’elle est décidément poursuivie par la malchance. En entretenant un véritable suspense non pas sur la pollution mais sur ses efforts « désespérés ». Les communicants alimentent les projets les plus fous : par exemple, celui d’une gigantesque île artificielle qui serait construite le long des côtes pour empêcher le pétrole de les atteindre ; idée aussi irréaliste que saugrenue, reprise sans vérification par l’administration américaine. L’essentiel est de mettre en scène l’activisme de la société, au point de persuader les responsables de l’administration de la Maison Blanche, qui ne demandent, comme la majeure partie des Louisianais, qu’à croire au miracle. BP accumule dans les médias et auprès des politiques les « preuves » de sa bonne volonté, tout en faisant analyser les prélèvements d’eau polluée par un laboratoire qui travaille régulièrement pour l’industrie pétrolière et notamment pour… BP.
L’équipe d’Obama, bien que la communication soit pour elle une seconde nature, a été battue par ces champions : elle n’a jamais vraiment mesuré à quel point les hommes de BP étaient proches de la Maison Blanche. Mais les uns et les autres sont, comme souvent en cas de marée noire, peut-être sur le point d’être déstabilisés par une image : celle du pélican englué de pétrole qui hante ­désormais tous les médias.

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