L’Eurock des peuples mène la danse

Du 2 au 4 juillet, le Pays basque fête la 15e édition de son festival Eurock. Une manifestation assurée par un nombre impressionnant de bénévoles et qui défend la contre-culture contre les grosses machines commerciales.

Jean Sébastien Mora  • 24 juin 2010 abonné·es
L’Eurock des peuples mène la danse
© PHOTO : RAFA RODRIGO PERURENA Programme et rens. :

«Bien avant le greenwashing, on n’a pas attendu la crise pour se rendre compte que la finance était néfaste pour l’environnement, la culture et les équilibres Nord-Sud », confie Eneko Gorri, bénévole au festival musical du Pays basque qui se déroule ans le village d’Hélette. Pour sa 15e édition, l’association Euskal Herria Zuzenean (EHZ, littéralement « le Pays basque en direct ») n’aura pas besoin de redéfinir son discours. Construit autour de la défense de la langue basque mais avec pour slogan « L’Eurock des ­peuples contre la world company », EHZ est fermement ancré dans la contre-culture : défense de la diversité culturelle, pensée « No logo » et sensibilisation à la protection de l’environnement. Dans le paysage artistique hexagonal, le festival basque reste hors norme dans sa démarche. Vingt-deux mille personnes étaient présentes à l’édition 2009 ; au fil des années, le festival a compté parmi ses artistes phares Noir Désir, Zebda, Yann Tiersen ou encore Emir Kusturica et Manu Chao. Cette année, Gojira, Ez3quiel, Balkan Beat Box, 2 Many DJ ou le Peuple de l’herbe partageront la scène avec des artistes basques comme Berri Txarrak ou Mikel Urdangarin.

Pourtant, sur le site des concerts, nulle grande banderole publicitaire vantant les mérites d’une boisson, d’une banque ou d’un groupe de téléphonie. À l’inverse, le camping gratuit a des toilettes sèches, les verres sont consignés, l’affichage est bilingue (voire trilingue), et beaucoup de produits sont équitables, artisanaux ou issus de l’agriculture biologique. Alors que la publicité et les subventions restent les ressources principales de festivals comparables, EHZ est autofinancé à hauteur de 90 %. « On ne vend pas de Coca-Cola car on est contre la stratégie du groupe, explique Élisabeth Aizager, présidente de l’association. Entrer dans la grosse machine tout en donnant écho à un discours alternatif serait incohérent. » La logique d’EHZ est simple : le travail assidu des 800 bénévoles compense le manque à gagner publicitaire ou institutionnel. Présents tout au long de l’année, les travailleurs volontaires sont particulièrement actifs à l’approche de l’événement, notamment pour le montage, à partir du 20 juin. Le bénévolat, c’est aussi une philosophie de fonctionnement pour l’association, un vrai projet dont le but est de faire tomber la barrière qui sépare trop souvent les festivaliers et l’organisation : « On refuse toute sécurité privée, non parce que cela coûte cher, mais parce que c’est complètement déshumanisant et que cette pratique entre dans des logiques de normalisation et de contrôle récurrents », confie Élisabeth Aizager. Depuis le début, l’association EHZ a fait le pari de la formation des bénévoles et de l’autorégulation des festivaliers. « Il serait plus rentable d’embaucher des barmans professionnels, mais tout le côté artisanal, la bière qui dégouline, les changements de fûts en catastrophe font la richesse du festival » , conclut Élisabeth. Après quinze ans, beaucoup de bénévoles avouent avoir développé une vision collective de la société qui les a poussés à changer de parcours de vie.

Eneko Gorri, quant à lui, replace EHZ dans une dynamique locale plus vaste, incluant la chambre d’agriculture alternative EHLG, la Confédération paysanne et les ikastola, le réseau des écoles basques : « Être attaché à une langue c’est bien. Mais pour en faire quoi ? Le festival tend à faire tomber les clichés associés au Pays basque. Le maintien de la langue ne s’inscrit pas dans une logique de fermeture, mais au contraire dans une volonté de pérenniser une diversité culturelle. Bascophones ou non, les bénévoles se retrouvent dans le projet. »
Quasi oublié par la presse, le festival continue sans que son avenir ne soit jamais assuré : « EHZ fait le choix de ne consacrer que 20 000 euros à sa communication, explique Élisabeth Aizager. A vec un budget si faible, les partenariats sont inimaginables. Voilà pourquoi les Inrockuptibles ou le journal Sud Ouest se contentent du minimum journalistique. » Mais, plus que le relais médiatique, les organisateurs avouent que la programmation devient au fil des années la difficulté principale. Depuis la crise du disque et l’industrialisation du secteur de l’événementiel, les artistes sont toujours plus intéressés par le nombre de spectateurs et le cachet associé. Or, tout proche de là, à Biarritz, une vraie menace pèse sur l’avenir d’EHZ.

Prestige oblige, la commune balnéaire veut aussi son festival. Cet été, elle accueillera la deuxième édition du Big Fest, un événement à l’initiative du producteur Sébastien Farran, manageur d’artistes et ancien juré d’une émission de téléréalité. Si, pour la première édition, le public n’était pas au rendez-vous, cette fois Farran met les moyens : la production américaine Live Nation débarque sur la côte basque. Dans l’Hexagone depuis 2007, le groupe est le numéro un mondial de la production de concerts, avec près de 140 millions de billets vendus pour plus de 20 000 spec­tacles organisés en 2009. Live Nation gère un catalogue international où l’on retrouve Madonna, U2, les Rolling Stones, Jay-Z, Shakira… et travaille avec ses artistes suivant le principe des contrats « à 360° », un système dans lequel les artistes ont très peu de marge de manœuvre car la firme distribue, cale et définit intégralement leur marketing et leur merchandising. Une industrialisation de la culture poussée à son extrême car il est quasi impossible pour un musicien de décider seul d’une date, voire de jouer un titre qui ne soit pas défini par la ­production.

Voitures clinquantes à l’effigie du Big Fest, Beigbeder et Moustic annoncés en VIP, pas de camping ni d’activités diurnes, tout oppose EHZ et le Big Fest. « Le festival de Biarritz entre directement en compétition avec notre projet. Mais racoleur, bling-bling et jet-sétisé, il n’a aucune volonté de développement, de sensibilisation. Il s’agit juste de faire de l’argent en faisant tourner des artistes » , regrette Eneko Gorri. Cependant, dans le grand Sud-Ouest, le festival Euskal Herria Zuzenean interpelle par sa grande longévité. Autour de lui, des dizaines de festivals avec de gros sponsors institutionnels ou privés se sont écroulés. « Cela prouve que derrière c’était du vent, il n’y avait aucune légitimité, estime Eneko Gorri, ni culture, artistique ou sociale ; la légitimité était fondée sur une banque ou une marque de fringues qui voulait étendre son influence » . Pas très rock’n’roll.

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