Quand l’orientation perd le nord

Le gouvernement projette de transférer une partie des missions des conseillers d’orientation-psychologues sur les enseignants, et une autre sur des entreprises privées.

Pauline Graulle  • 17 juin 2010 abonné·es
Quand l’orientation perd le nord
© PHOTO: BERNARD/AFP

«Pour discuter de votre avenir, tapez 2 ! » Des hotlines où des « chargés d’orientation » répondront par téléphone, par e-mail ou sur des « tchats » en ligne aux collégiens et aux lycéens en mal d’information… Voilà à quoi pourrait ressembler, demain, l’orientation scolaire. C’est en tout cas ce que préconise un groupe de travail ministériel qui, depuis l’automne, planche sur la redéfinition des missions des conseillers d’orientation-psychologues (COP). Si elles sont encore floues, les premières propositions suscitent une levée de boucliers. Personnels, associations de parents d’élèves et syndicats estiment que ce projet « s’inscrit dans une politique générale de l’éducation moins pensée en fonction du besoin des élèves que des économies à réaliser » . Et y voient le coup de grâce porté à un service public de l’orientation déjà mal en point.

Le démantèlement ne date pas d’hier. Les réductions d’effectifs, amorcées il y a une dizaine d’années, sont aujourd’hui drastiques : il reste à peine 3 700 COP en France, et cinq départs à la retraite sur six ne sont pas remplacés. Triste record dans un secteur en pleine saignée. « On organise politiquement la disparition des COP et, ensuite, on crie au manque d’efficacité du dispositif ! » , s’indigne Dominique Hocquart, président de l’Association des COP de France (Acopf).

Les centres d’information et d’orientation (CIO), où chaque année se ­rendent des centaines de milliers d’élèves (et de parents) qui hésitent sur la poursuite de leurs études, s’interrogent sur leurs choix professionnels, peinent à trouver des places dans les filières de formation, ou souhaitent évoquer leurs difficultés scolaires, sont eux aussi sur la sellette. Notamment les CIO départementaux, qui pâtissent des difficultés financières rencontrées par les conseils généraux : dans l’académie de Rouen, 11 CIO ont ainsi été rayés de la carte ; dans celle de Dijon, il n’en reste que 2 sur 20. « En refusant de renflouer les caisses des collectivités locales, l’État cherche à fermer les CIO, explique Claudine Bur, directrice du CIO de Sainte-Geneviève-des-Bois (Essonne). C’est une atteinte à l’accès pour tous à une orientation gratuite et de proximité, qui lèse donc en premier lieu les classes défavorisées. »

Sur les déserts laissés par l’extinction du service public, fleurissent déjà instituts de coaching et entreprises privées « qui, pour 500 euros en moyenne, font passer des batteries de tests et donnent quelques conseils à la va-vite, déplore Thierry Boy, enseignant à l’Inetop, qui forme les conseillers de l’Éducation nationale. En réalité, la politique du gouvernement fait les choux gras du privé, sur lequel ne se rabattent pas que les privilégiés : de nombreuses familles, même modestes, sont prêtes à se saigner aux quatre veines pour ce qui concerne la scolarité de leurs enfants ».

À défaut, les élèves pourront toujours composer le numéro vert d’une plateforme téléphonique – déjà mise en place à titre expérimental – pour tenter de joindre un « chargé d’orientation » « qui, à coup sûr, n’aura pas la formation bac + 5 des COP… », souligne Thierry Boy. Les élèves pourront aussi se tourner vers leurs professeurs puisque le gouvernement va « transférer sur les enseignants le rôle de conseil direct auprès de tous les élèves » , en échange de quelques heures supplémentaires.
Problème : quel temps sera consacré à chacun ? En outre, « comment un élève peut-il confier ses inquiétudes, ses difficultés scolaires à un adulte qu’il voit tous les jours, qui n’est formé ni à l’orientation ni à la psychologie, et qui, en plus, est chargé de noter son travail ? » , s’interroge Thierry Boy.

Le gouvernement entend cantonner les quelques COP qui vont subsister à l’accueil des « publics aux besoins particuliers » : jeunes nouvellement arrivés en France, handicapés, « décrocheurs »… « C’est d’une hypocrisie totale, tempête une COP d’Essonne. Le gouvernement a fermé, il y a deux ans, le seul CIO spécialisé pour les handicapés à Paris. Et, pour ne donner qu’un exemple, la réforme des bacs professionnels [passés de quatre à trois ans, NDLR] aggrave l’échec scolaire en première année et les abandons de formation. » « Il est injuste de limiter l’entretien clinique d’orientation aux élèves en très grande difficulté, ajoute Dominique Hocquart. Les adolescents ont tous besoin de s’interroger sur leur parcours scolaire, de revoir plusieurs fois de suite le même conseiller, d’impliquer leur famille dans leur orientation. Plus globalement, ces directives trahissent l’idée que le pouvoir se fait de la psychologie : elle serait réservée aux personnes qui “posent problème”. »

L’idée, c’est d’évacuer de l’enceinte scolaire toute approche psychologique des élèves par un professionnel indépendant. Les COP dans le secondaire, et les psychologues scolaires dans le primaire, qui sont eux aussi menacés. « Le libéralisme s’accommode mal des COP, qui, par déontologie, privilégient l’intérêt des adolescents et non la gestion des flux, estime Thierry Bois. Les profs, eux, ne pourront se prévaloir du statut de psychologue pour se protéger d’éventuelles pressions de leur administration ou même de certains chefs d’établissements qui veulent rameuter des élèves à tout prix pour maintenir leur formation… On sait que certains organismes privés sont contactés par des entreprises en quête de main-d’œuvre. » Ils ont pignon sur rue. Le ministère va leur ouvrir un boulevard.

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