Du sang et des larmes

Babybird chante
l’amour impossible et les blessures de la vie.
Une pop tragique
et d’une touchante délicatesse.

Jacques Vincent  • 22 juillet 2010 abonné·es

Ex-maniac date un peu mais il n’est jamais trop tard pour parler de l’un des plus beaux disques de l’année. C’est le sixième album de Babybird, alias Stephen Jones, presque oublié aujourd’hui malgré ce hit magnifique de 1996, « You’re gorgeous ». Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il n’a pas su capitaliser ce succès, comme on dit de nos jours dans la novlangue en cours et en cour. L’homme ne ­semble pas du genre à suivre un plan de carrière, et sa production est tellement aléatoire que chaque nouveau disque donne l’impression d’un retour après une longue absence.
Babybird remercie beaucoup de gens sur la pochette de son nouveau disque, en particulier sa famille et ses enfants. Rien de très original. Sauf que chez lui cela donne ceci : « Sans eux, je serais probablement mort et on aurait donné mon cœur à quelqu’un de plus digne. » Il ­faudrait en être soi-même particulièrement dépourvu, de cœur, pour ne voir là qu’une posture après avoir écouté ce disque.

Pas de hit ici, mais des chansons touchantes, poignantes parfois, toujours pleines d’humanité. Des chansons qui possèdent tellement de force qu’il est totalement impossible d’écouter Ex-maniac distraitement. Un exemple : « For The Rest of Your Life ». Celle-là est capable d’aller vous chercher à des kilomètres et elle n’est pas la seule. Sans user pour autant d’effets quelconques. C’est même tout le contraire : ces chansons sont d’une délicatesse absolue. Une assise rock ; des arpèges de guitares qui miroitent en surface ; une basse qui danse parfois sur les pointes comme dans les chansons du Velvet Underground ; des mélodies imparables ; des chœurs en « sha-la-la ». Tout cela pourrait paraître assez léger, mais ce qui est dit est souvent terrible. De la pop mais avec une dimension tragique. Mais la pop, parfois, c’est aussi cela : une voûte étoilée peinte au-dessus d’une vallée de larmes. Et de sang, laissent à ­penser certaines chansons de ce disque, dont la pochette montre deux mains portant chacune le mot « love » tatoué sur les doigts, façon Nuit du chasseur.

L’amour est bien le sujet du disque, mais vécu comme une quête impossible pour ces personnages meurtris, abandonnés, blessés par la vie, perdus dans des addictions diverses, montrant une constante dépréciation de soi, qui s’appliquent à décourager toute approche, et dont les rares déclarations ressemblent surtout à des prières. Rien de glamour dans tout cela. Peu de happy end . Juste la vie.

Culture
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