Gilad et Salah n’ont pas le même poids

Alors que l’on manifeste en Israël pour le soldat franco-israélien Gilad Shalit, captif du Hamas, la France se tait toujours sur le sort du jeune Franco-Palestinien Salah Hamouri, prisonnier en Israël.

Julien Badaud  • 15 juillet 2010 abonné·es
Gilad et Salah n’ont pas le même poids
© PHOTO : KAHANA/AFP

Étrange contradiction : on manifeste en Israël et on proteste contre le gouvernement Netanyahou parce que celui-ci n’a pas obtenu la libération du soldat franco-israélien Gilad Shalit, captif du Hamas depuis juin 2006, mais les manifestants tiennent en fait le même langage que Benyamin Netanyahou, que l’on peut résumer ainsi : oui à la libération de Gilad Shalit, mais non aux contreparties demandées par le Hamas, et qui n’ont pas varié depuis plusieurs années. On voit là ­l’impasse d’une société qui est dans un total déni de réalité : refus de dialogue avec le Hamas et contresens sur la résistance palestinienne, assimilée à un terrorisme endogène. Ce qui fait dire à l’homme de la rue autant qu’au Premier ministre : « Si nous libérons des assassins, ils recommenceront à tuer. »
Mais il n’y a pas que le gouvernement et la société israélienne qui connaissent des contradictions. Le gouvernement français a les siennes. Le traitement inégal entre le Franco-Israélien captif du Hamas et le jeune Franco-Palestinien Salah Hamouri, prisonnier d’Israël, reste un pur scandale.

Le 27 juin dernier, les parents de Gilad Shalit ont organisé une marche de solidarité en faveur de leur fils. Celle-ci aurait mobilisé, selon eux, plus de 200 000 Israéliens. Pendant douze jours, ils ont parcouru 205 kilomètres, depuis leur maison familiale à Mitzpe Hila, au nord d’Israël, pour arriver à Jérusalem, devant la résidence du Premier ministre, Benyamin Netanyahou. Noam et Aviva Shalit cherchent ainsi à interpeller l’opinion publique et à peser sur leur gouvernement, afin d’obtenir la libération de leur fils. Lors d’une « rencontre informelle » vendredi dernier, Benyamin Netanyahou leur a indiqué qu’il a « insisté durant tous [ses] déplacements à l’étranger, pour qu’il y ait des pressions sur le Hamas afin que Gilad soit libéré ». Comme si l’affaire ne dépendait pas uniquement
de lui… Depuis avril 2007, le Hamas propose la libération du jeune soldat tankiste en échange de plusieurs centaines de Palestiniens retenus en Israël. Les autorités israéliennes bloquent les négociations, refusant de libérer des prisonniers qui « auraient du sang sur les mains ».
Gilad Shalit, aujourd’hui âgé de 23 ans, effectuait son service militaire quand il a été capturé par le Hamas, le 25 juin 2006. Caporal, il était alors aux commandes de tir d’un char. Israël lancera, trois jours plus tard, l’opération « Pluie d’été » dans la bande de Gaza. Quatre cents Palestiniens, dont de nombreux civils, seront tués, et de nombreux logements, routes et bâtiments publics seront détruits. Ce qui devrait relativiser l’argument du « sang sur les mains ».

En raison de sa double nationalité, Gilad Shalit reçoit régulièrement des appuis de la part de la France. En octobre 2007, la mairie de Paris installe un portrait de Gilad dans le jardin Yitzhak-Rabin, dans le XIIe arrondissement. Le 9 octobre 2009, Bertrand Delanoë lui décerne le titre de citoyen d’honneur de la Ville de Paris. Bernard Kouchner, ministre des Affaires étrangères et européennes, déclare, au sujet de la situation entre Israël et la Palestine, que « les progrès sont inexistants. Il y a cependant des espoirs, […] la libération du soldat franco-israélien Gilad Shalit pourrait alléger un peu l’atmosphère ». Nicolas Sarkozy, quant à lui, ne cesse d’appeler depuis son accession au pouvoir à la libération de « notre compatriote ». Au fil d’entretiens téléphoniques avec les parents de Gilad, comme dans une lettre publique qu’il leur a adressée récemment, le président de la République leur exprime « sa très vive sympathie » et répète que la France poursuivra « sans relâche ses efforts jusqu’à la libération […] de Gilad Shalit ».

L’histoire du soldat franco-israélien est évidemment à mettre en relation avec celle de Salah Hamouri, étudiant franco-palestinien, âgé de 25 ans. Le 13 mars 2005, il est arrêté sans explication par les autorités militaires israéliennes alors qu’il se rendait à Ramallah avec des amis. Placé en isolement, il apprend qu’il est accusé d’appartenir au Front populaire de libération pour la Palestine (FPLP), organisation illégale en Israël, et d’avoir effectué « des repérages » autour du domicile de l’ancien grand rabbin d’Israël, Ovadia Yossef. Il n’en faut pas davantage pour qu’un délit d’intention, qui ne saurait avoir cours dans une démocratie, soit retenu contre lui.

Le 17 avril 2008, après trois ans de détention provisoire, au cours desquels son jugement sera repoussé plus d’une vingtaine de fois, Salah Hamouri est condamné par un tribunal militaire israélien à sept ans de prison pour les « faits » reprochés. Sur conseil de son avocate israélienne, il accepte de plaider ­coupable, celle-ci lui avançant : « Soit vous acceptez sept ans, soit ce sera pire. »

Le Quai d’Orsay se borne à répéter que la France mène « un engagement politique, diplomatique et consulaire sur le cas de Salah Hamouri » et qu’« il y a une mobilisation constante du ministère [des Affaires étrangères], y compris du président de la République ». Au Quai, on affirme que « l’objectif des autorités françaises est d’obtenir, dans le respect de l’indépendance de la justice israélienne, une issue humanitaire positive à la situation dans laquelle se trouve Salah Hamouri ». Mais de quel « respect » est-il question, face à un tribunal militaire dont l’armée commet toujours en toute impunité de nombreuses violations du droit international sur le sol palestinien ? Quant à Nicolas Sarkozy, il n’a jamais reçu personnellement la mère du jeune homme, ni adressé le ­moindre courrier au gouvernement israélien. Le nom de Salah Hamouri n’a même jamais été prononcé publiquement par lui.

Monde
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