Afrique : gros trafics pour armes légères

Les nations de la Françafrique constituent toujours une clientèle fidèle, et la vente à ces pays a plus que doublé depuis deux ans.

Claude-Marie Vadrot  • 2 décembre 2010
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La France compte sur le continent africain et les derniers acteurs de la Françafrique pour maintenir, voire améliorer, son ­chiffre d’affaires de ventes d’armes. Sans trop se préoccuper des affirmations du ministère des Affaires étrangères, qui explique régulièrement par l’intermédiaire de ses porte-parole que l’on ne doit pas « vendre des armes à un pays qui les retournerait contre sa population » .

C’est, paraît-il, la règle. Pourtant, depuis 2008, le montant des ventes à l’Afrique a plus que doublé et dépassera les 40 millions d’euros cette année, alors que la démocratie n’est pas encore la règle commune du continent et que des rébellions s’opposent à beaucoup de pouvoirs en place. On vend aux uns et aux autres, y compris aux opposants, pour ne pas insulter l’avenir. La France, directement ou indirectement, ne fournit pas seulement des blindés légers ou des avions aux pays africains. Qu’elles soient de fabrication française ou étrangère et transitant par des intermédiaires, elle vend aussi des centaines de milliers d’armes légères et des véhicules rapides pouvant faire face à des mouvements de guérilla… ou leur être utiles. Parmi les nouveaux clients, il y a par exemple le Tchad et le Nigeria. Deux pays qui luttent contre des rébellions depuis des années.

Notre pays reste bien évidemment un fournisseur important de la Côte-d’Ivoire, qu’il s’agisse des forces de Laurent Gbagbo ou des « rebelles » qui maintiennent leur présence dans le nord du pays. Cet armement leur permet de protéger les exportations illégales de bois précieux qui transitent par les pays voisins. Il suffit de remarquer l’omniprésence des fusils à répétition ­­Fa-Mas G1 ou G2 aux mains des forces rebelles ou dans les armées africaines pour comprendre que, même s’il n’est plus fabriqué, cet engin reste un « bel » objet d’exportation. D’autant plus – autre spécificité française – que, pour faire face à la demande de ce fusil et d’autres armes, la France écoule en Afrique de grandes quantités d’armes d’occasion dont l’armée se sépare régulièrement. Avec des procédures de plus en plus opaques.

L’attitude ambiguë de la France, qui veut ménager à la fois ses industries, des intermédiaires utiles et sa clientèle politique, surtout celle qui détient des réserves de pétrole ou de métaux et terres rares, explique probablement qu’elle a tout fait pour remettre en cause la radicalité du processus d’Oslo, qui vise depuis 2008 à interdire la production, la vente et le stockage des bombes et obus à sous-munitions, ces armes qui, en explosant, libèrent des « bombinettes » qui font ensuite des ravages dans la population civile. D’ailleurs les exceptions prévues par ce traité désormais en vigueur permettent à notre pays de conserver l’usage – et donc l’exportation discrète – des missiles Apache et des obus Bonus, ce dernier étant fabriqué en association avec la Suède. Ces munitions ont pour caractéristique de libérer des sous-munitions dont il est, paraît-il, garanti qu’elles explosent toutes…

Il suffit de s’intéresser aux armées nigérienne, gabonaise, congolaise ou guinéenne pour constater que leurs armements sont soit fabriqués en France, soit ont transité par des intermédiaires français dont les experts reconnaissent le savoir-faire et les appuis efficaces en France et en Afrique. Avec ou sans permis d’exporter.

Preuve que les autorisations de ventes d’armes et surtout de munitions sont de plus en plus souvent délivrées avec un certain laxisme, le rapport annuel du ministère de la Défense abordant ce sujet ne publie plus jamais les statistiques de ventes pays par pays, mélangeant allégrement le matériel de guerre proprement dit, les équipements sanitaires, les uniformes, les véhicules « équipables », les radars et les moyens de radiocommunication. Ce qui prive les parlementaires, qui ne s’en offusquent guère, et les observateurs du suivi de nos livraisons à l’étranger (voir l’article de Xavier Frison dans ce dossier). Notamment celles qui parviennent régulièrement en Somalie : aux chefs de bande qui ravagent le pays et aux forces islamistes. Difficile de croire à un contrôle des exportations quand les militaires français retrouvent nos armes légères entre les mains des « pirates » qu’ils interceptent…

Publié dans le dossier
Le scandale des ventes d'armes
Temps de lecture : 4 minutes
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