Que font les parlementaires ?

Au contraire d’autres grands exportateurs d’armes, la France ne présente qu’un simple rapport annuel au Parlement pour justifier ses ventes. Les députés s’en contentent.

Xavier Frison  • 2 décembre 2010
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« La guerre est une chose trop sérieuse pour la laisser faire par des militaires. » Et des industriels, serait-on tenté d’ajouter au bon mot de Georges Clemenceau. Seulement voilà, les exportations d’armes made in France font l’objet d’un contrôle tout relatif par nos députés. Les mailles grossières du filet parlementaire ­laissent passer obus, avions de chasse et autres colis non identifiés vers de mystérieux abîmes. Où, dit-on, le sang coule à flots, et pas toujours dans le cadre subtil de l’art de la guerre. Fâcheux, quand on sait que l’Hexagone est le quatrième exportateur mondial d’armement. Crispant, quand on voit Américains et Britanniques, respectivement premiers et deuxièmes au concours annuel du meilleur vendeur, associer étroitement leurs Parlements à cette question cruciale : que vendons-nous, et à qui ?

Rien de tout cela en République française. Oh ! chaque année, à la rentrée, les 577 députés trouvent bien dans leur cartable un joli cahier intitulé Rapport au Parlement sur les exportations d’armement de la France, portant sur l’année précédente. Dans le dossier de presse de la livrée 2010, il est même écrit que « la législation française sur le contrôle des exportations d’armement est un modèle de rigueur et d’efficacité ». On en voit un, au fond de l’hémicycle, qui fait sa mauvaise tête. C’est Noël Mamère. « Le contrôle parlementaire sur les exportations d’armes est absolument nul » , rétorque le député Vert, un peu ­chagrin de voir « les écologistes assez seuls sur cette question » . Ignoré par la commission parlementaire de la Défense nationale, alors qu’il lève le doigt depuis un moment, Nicolas Vercken, responsable de plaidoyer pour la prévention des conflits et la protection des populations à l’ONG Oxfam France, pointe les particularismes gaulois : « Les autorités françaises nous disent que nous sommes très vertueux par rapport à nos voisins. Or, ce n’est pas vrai. Le Royaume-Uni publie un rapport tous les quatre mois, plus un rapport annuel assorti de débats, auditions et contre-rapport du Parlement. » En France, il y a le rapport annuel, trop imprécis, basé sur des données trop anciennes, et rien d’autre. Tout juste y apprend-on, par exemple, que les exportations d’armes tricolores vers Israël et le Tchad ont respectivement augmenté de 97 % et 57 % entre 2007 et 2008. Ou que des colis ont rejoint le Pakistan en 2009, avec les compliments de la maison. Pas vraiment de quoi rassurer le citoyen.

Frein évident à la transparence, la tradition républicaine du « domaine réservé » au Président pour les questions liées à la politique extérieure reste coriace. Et puis, à l’évocation d’une industrie qui emploie 100000 à 150000 salariés-électeurs, d’aucuns, à l’UMP comme au PS, préfèrent regarder ailleurs… Autre explication à la passivité du Parlement, qu’aucune disposition législative ou constitutionnelle n’empêcherait d’agir, « le secret défense pèse énormément » , explique Noël Mamère. Qui le verrait bien sauter ou, à tout le moins, « réduit dans son périmètre » . Les lobbies du secteur pèsent également. Sur son site personnel, le député UMP Guy Tessier, président de la commission parlementaire de la Défense nationale, précise qu’il est l’ « interlocuteur permanent du gouvernement et des acteurs industriels et militaires » . Pas un mot sur les représentants de la société civile, un lobby comme un ­autre prié de rester à la porte des déjeuners en ville.

www.defense.gouv.fr, taper « rapport au Parlement sur les exportations d’armement ».
Publié dans le dossier
Le scandale des ventes d'armes
Temps de lecture : 3 minutes
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