Les Interrompus : La vie sans eux

Dans les Interrompus , Vincent Ecrepont fait parler des enfants décédés. Un sujet terrible pour une pièce en apesanteur.

Gilles Costaz  • 3 février 2011 abonné·es

Un jeune auteur, Vincent Ecrepont, donne la parole à des enfants rayés de la carte, morts à des âges différents, mais, bien sûr, trop tôt. Cela s’appelle, justement, pudiquement, les Interrompus . Étrange et audacieuse idée : le décès d’un enfant est une chose insoutenable ; faut-il ajouter de la douleur à la douleur ? Ce n’est pas du tout ce que fait Ecrepont. Sa pièce entre dans le silence qui suit ce type de drame et l’explore, l’emplit de phrases jamais dites et libératrices, remplace le foudroiement muet par un tournoiement bienfaisant.

Hanté par cette situation, l’auteur a rencontré des parents victimes de la perte d’un enfant. Mais il n’a pas retranscrit leurs confessions. Il a imaginé ce que pourraient dire les disparus, si un certain nombre d’entre eux discutaient après leur mort, s’adressaient les uns aux autres et aussi à leurs géniteurs. « C’est le monde à l’envers , dit Ecrepont. Les morts prennent la parole et les vivants sont assignés au silence. »

Ils ont de drôles de noms, ces disparus, appelés aussi « les effacés du temps » , qui apparaissent peu à peu derrière un écran translucide, d’abord irréels, puis concrets, en lutte contre un monde nu qui voudrait les laisser dans l’abstraction. Ils s’appellent Grand-Ouvert, Peut-être, À-Peine, Petit-Tout et Tout-autant. Trois garçons et deux filles. Le plus jeune n’a même jamais vécu hors du ventre de sa mère, puisqu’il est « mort-né ». Le plus âgé a 17 ans, il a fait une chute de scooter. Ils ressentent tous de la ­culpabilité, ou bien ils parlent de celle de leurs parents. C’est cela qu’en palabrant, en jouant, en se défiant, ils tentent de dénouer. Il ne faut pas que le père blessé à jamais continue à hurler tous les jours le prénom de l’absent. Ni que l’enfant né après le défunt soit élevé et habillé comme celui qui n’est plus là. Il ne faut pas non plus que ces morts se considèrent comme des morts : ils inventent les vies qu’ils n’auront pas eues.

Vincent Ecrepont a mis en scène lui-même son texte comme s’il se passait dans une apesanteur de plus en plus repoussée par le poids de la vie. Dans le jeu des cinq comédiens très vifs, Teddy Bogaert, François Delaive, Maëva Husband, Arnaud Lechien et Caroline Sordia, il y a quelque chose d’une cour d’école de l’au-delà, enjouée face à la gravité. Cette belle traversée du miroir ne ressemble à aucune autre.

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