Le Bo avant sa naissance

L’école était importante pour le Bo avant sa naissance, parce qu’elle était une preuve de son existence totale (feuilleton, deuxième épisode.)

Olivier Combault  • 21 avril 2011 abonné·es

Quand il n’avait pas école, un jour, le Bo vidait un bidon d’essence dans un réservoir et avait le droit de monter derrière le Solex dans le vent, ou encore le Bo suivait « mon oncle » jusqu’à un café et faisait virevolter et tilter des boules étincelantes dans des millions de lumières sur la pointe des pieds pour se hisser à hauteur de la machine, ensuite il savait qu’il passerait un mauvais quart d’heure, mais ça en valait bien la peine, se chuchotait le Bo en ne s’endormant pas.

À la fin de l’école, le Bo avait le prix d’excellence et remerciait celle qui lui donnait, esquissant juste une petite grimace quand elle se penchait sur le Bo pour lui faire une bise. « Merci Madame la maire d’Houilles » , avait dit le Bo et tout le monde avait ri. De temps en temps, L’Une revenait dire de belles choses sur le parking et embrasser le Bo, qui ne grimaçait pas pour les baisers de L’Une.

Quand il n’avait pas école, aussi, le Bo restait enfermé et ne s’ennuyait jamais, il cliquait sur l’un des deux boutons argentés de son petit poste Optalix et tournait le volume jusqu’à saturation. C’était ça la musique du Bo avant sa naissance. Et il s’agitait de partout, il dansait et tapait sens dessus dessous en chantant avec des voix étranges et des efforts qui ne faisaient venir personne.
Unanimement à l’école, le Bo était apprécié. Même les adverses avaient une louange soudaine à faire au Bo, et pendant cette seconde où le Bo ne cessait pas d’exister, il était ému, un peu étonné toujours de voir chacun se rallier à lui.

Quand L’Une lui demandait dans sa langue de se jeter dans un bassin à poissons rouges devant l’école d’Houilles, le Bo s’y jetait et elle le séchait tendrement en s’excusant. Quand L’Une lui demandait d’aller griffer une autre, le Bo faisait exécuter ce désir jusqu’au sang, ce qui valait un plus gros baiser sur le parking. Et quand L’Une demandait au Bo de tout lui montrer, le Bo montrait tout derrière un arbre et puis L’Une le laissait caresser tout en souriant.
S’il fallait prendre le pain après l’école, le Bo le prenait et revenait, « Où est la monnaie ? » . Ça le Bo ne savait pas avant sa naissance et il regardait hébété avant d’être crié et tapé devant le frigidaire.

L’école était importante pour le Bo avant sa naissance, parce qu’elle était une preuve de son existence totale.
Il n’était pas rare de voir en marge des cahiers du Bo avant sa naissance, quelques ratures, des imagomets que le Bo découpait et fourrait dans sa poche. Imagomets qu’en bon dirigeant le Bo distribuait à ses suiveurs à chaque exploit, ou qu’il échangeait à d’autres contre des morceaux de mousse arrachés au dos des sièges des cars, pour ensuite les offrir à L’Une qui adorait caresser et baiser la mousse tendre précieuse et jaune, encore tout humide du Bo.

Parfois la nuit, il n’y avait plus le choix, l’école se présentait sans tout à fait revenir et le Bo faisait des efforts désespérés, il tournait ou rampait ou tapait pour revoir le visage de L’Une, mais elle n’avait plus de visage. Alors c’était errance pour le Bo, il regardait activement l’immeuble d’en face s’éteindre et faisait des centaines de ratures de mots et d’images sur les cahiers. Ces tentatives serviraient au moins à avoir la mousse qu’il donnerait à L’Une plus tard.
C’était le silence souvent la nuit pour le Bo privé de son Optalix. Il rencontrait les mêmes difficultés à tenter d’entendre sa musique saturée qu’à revoir L’Une disparue, les mêmes errances, sans jamais désespérer.

Le Bo était patient avant sa naissance.
Avec l’avenir par contre, le Bo n’avait pas les mêmes soucis et pouvait s’agiter et se concentrer en étant sûr de son fait. Il savait ses notes du lendemain. S’il songeait à un lieu, tôt ou tard il y pénétrait. S’il était persuadé qu’il allait gagner une poule vivante à la fête quand il n’y avait pas école, grâce à un tir précis dans un fil, il était certain de voir picorer l’animal sur son balcon.
Les grandes vacances du Bo étaient un temps de délectation et de providence, où la pensée déjà fort en avance du Bo aimait à remplir et s’aiguiser avant sa naissance.

Tout était bon aux pensées du Bo.
Penser les premières rayures de la vitesse des arbres et des buissons, penser la gifle des tunnels et penser la poursuite du soleil derrière les arbustes, était signe d’un excellent début de vacances pour le Bo : c’était ce qui arrivait.
Avant une quelconque errance liée à l’obligation de s’arrêter, le Bo ouvrait grand son regard ou, au contraire, plissait fort les yeux, ça dépendait de la clarté, et décidait ou non de stopper.
C’était toujours le meilleur choix que faisait le Bo avant sa naissance.

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