Matthieu Fontana 30 ans, violoncelliste

Jazz, classique, variété. Trois jeunes instrumentistes relatent leur parcours. Entre travail acharné, coups de blues et débrouillardise.

Ingrid Merckx  • 16 juin 2011 abonné·es

Illustration - Matthieu Fontana 30 ans, violoncelliste

Matthieu Fontana n’est pas passé par la grande porte, le Conservatoire national supérieur de musique (CNSM). Mais par un conservatoire national de région, le CNR de Boulogne, section violoncelle. Conséquence : même quand on n’est pas « manchot » et qu’on « travaille comme un âne », les portes restent fermées. C’est la règle en musique classique. Il faut le précieux sésame d’État, sans quoi « on n’est pas vraiment reconnu ». Ni pour enseigner ni pour jouer. « Ce système vieillissant laisse quantité de musiciens talentueux sur le bord de la route. J’en connais au moins dix qui ont dû arrêter ! », s’indigne-t-il. Car, pour continuer en dehors de la voie royale, il faut du courage, de la détermination, de la débrouillardise et… de l’argent ! Sauf à se contenter de peu. « La musique à un niveau professionnel, c’est des heures et des heures d’instrument par jour pour parvenir à une grande qualité d’exécution. Et des années de boulot pour un disque ! » Pas de secret. Mais il faut bien gagner sa vie par ailleurs. D’où la sélection sociale induite.


Pour Matthieu, l’art ne s’apprend pas au conservatoire, « un endroit qui normalise… ». On y enseigne une bonne technique, « et c’est absolument indispensable ! Mais, pour apprendre le métier d’artiste, le travail de création, la recherche d’une esthétique originale, il faut sortir de sa case, compléter son apprentissage avec une réflexion personnelle, une démarche de recherche, et fréquenter des “maîtres” ». Comme Anner Bylsma, un Hollandais d’une « grande générosité » qui lui a offert ce que le conservatoire ne lui apportait pas. En 1999, Matthieu Fontana monte un ensemble, le Quatuor ébène, à qui il donne cinq ans de sa vie. « On a créé une entité, un son… On a remporté des concours internationaux, on a fait des tournées en France et en Europe. Malgré cela, cette aventure n’a été possible que grâce au soutien et au réseau des parents d’un des membres. Sans apport financier, on ne peut pas continuer. » Quand il quitte le quatuor, c’est le choc. « Je me suis retrouvé à la rue. Sans contrat. Ébène était connu, pas Matthieu Fontana… » Il fait une dépression. Arrête la musique. S’inscrit à Sciences-Po. Il paie ses études en travaillant la nuit et doit vendre son violoncelle. « J’ai appris énormément de choses pendant trois ans, dont le fonctionnement de la filière musicale. » Production, diffusion, plates-formes de téléchargement, loi Hadopi, statut d’intermittent : il devient incollable. « Mais je pensais musique, vivais musique… » Il se remet donc au violoncelle en passant par le baroque. Il intègre rapidement un ensemble assez prestigieux avec lequel il « fait le tour du monde » et « gagne bien sa vie »  : entre 1 500 et 3 000 euros par mois. Mais il a le sentiment de faire partie d’une « machine à divertissement ». Même dans le milieu du baroque, « récupéré par les maisons de disque, qui en ont fait un produit standardisé : tous les ensembles baroques médiatisés ont le même son et sont composés en majorité des mêmes musiciens qui passent de l’un à l’autre. Les producteurs jettent leur dévolu sur un artiste, sans forcément savoir de quoi ils parlent, fabriquent des stars et les font tourner… »


Pour se ressourcer, Matthieu s’attaque aux Suites pour violoncelle seul. « Bach s’inspire du populaire avec les codes de la musique savante. » Un concept qui lui plaît. « Seul face à son instrument, on se retrouve, on construit un monde… Je ne crois pas au génie, seulement au travail. Chaque individu peut développer son interprétation… » Une ingénieure du son lui suggère de garder une trace de ce travail. Les Suites 1, 3 et 5 sont en vente en ligne ^2. Les trois suivantes compléteront l’œuvre cet automne. « Internet permet de s’autoproduire, de se passer d’intermédiaires, de devenir autonome, avec son label et son moyen de diffusion, à l’heure où le monde de la production ne prend plus aucun risque. Surtout, alors qu’un producteur récupère 90 à 95 % des royalties, même pour les stars, sur Internet, l’artiste peut espérer au moins 75 %. » Avec une quinzaine de musiciens, il monte un « label associatif » : Cordes et âmes. Il fait le site lui-même, chez lui, se cherche des dates de concert en s’associant à des projets associatifs. « Un véritable auto-­entrepreneur ! Ça mord sur le travail de l’instrument mais ça permet de ne pas devenir un objet de marchandisation, de redonner du sens au rôle de l’artiste en allant jouer dans les écoles, les prisons… et de retrouver une parole politique. »


[^2]: www.matthieufontana.com 

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