Soufre chinois contre CO2

Une étude montre que l’explosion de la combustion de charbon en Chine dans les années 2000 a contribué, par ses rejets en polluants soufrés, à ralentir la hausse des températures planétaires.

Patrick Piro  • 21 juillet 2011 abonné·es
Soufre chinois contre CO2
© Photo : AFP / China Xtra

Les climatologues viennent de trouver l’origine de la « panne » d’élévation des températures moyennes de la planète, qui intrigue les scientifiques depuis quelques années : de 1998 à 2008, la courbe de réchauffement, qui grimpait depuis les années 1970, est restée « bloquée » à environ 0,8 °C de hausse depuis le début de l’ère industrielle [^2]. Certes, la pause est d’une durée peu significative pour une machinerie aussi complexe que le climat terrestre, mais elle alimentait la controverse sur la crédibilité du réchauffement à long terme, alors que les émissions de gaz à effet de serre n’ont jamais été aussi importantes que pendant cette même décennie…


Deux phénomènes étaient jusque-là incriminés : le creux périodique de l’activité solaire (obéissant à un cycle de onze ans) et un épisode récurrent de refroidissement d’une grande surface de l’océan Pacifique (La Niña). Une équipe finno-états-unienne [^3]
 vient de mettre au jour une cause complémentaire qui semble faire le compte : un bond de la consommation de charbon (26 % entre 2003 et 2008), dont les fumées contiennent des particules de soufre formant des brouillards acides à effet parasol vis-à-vis du rayonnement solaire.

La Chine en est responsable pour les trois quarts : les quelque 1 400 centrales du pays, qui assurent près de 80 % de la production d’électricité du pays, ont brûlé l’an dernier 3,2 milliards de tonnes de charbon — soit un doublement depuis 2002, année qui inaugure une période de croissance sans précédent.


La demande énergétique chinoise est devenue un paramètre climatique de premier ordre pour la planète. Mais la balance penche dans un sens inattendu : l’effet « refroidissement » des polluants soufrés l’emporte sur l’effet « réchauffement » du CO2 émis par la combustion du charbon.
Les opportunistes n’auront pas le loisir de disserter sur ce pis-aller [^4]
 : au contraire des molécules de CO2, les particules de soufre résident peu longtemps dans l’atmosphère. À moins de maintenir un niveau de pollution élevé, la hausse masquée des températures ne manquera pas de se manifester bientôt. 2010 est d’ailleurs l’année la plus chaude jamais enregistrée depuis un siècle (avec 2005) — peut-être une conséquence, déjà, de la prise de conscience par la Chine de la très mauvaise qualité de l’air dans ses villes, ce qui se traduit par la pose de filtres sur les cheminées des centrales à charbon.


Les chercheurs de l’étude finno-états-unienne rappellent que la courbe des températures planétaires avait connu un long plateau entre les années 1940 et 1970, avant de repartir à la hausse : après le boum des Trente Glorieuses, les pays industriels ont commencé à lutter contre la pollution au soufre, qui prenait des proportions dramatiques.


Les grandes éruptions volcaniques sont aussi démonstratives : l’explosion du Pinatubo en 1991, aux Philippines, a envoyé plus de 10 millions de tonnes de particules soufrées dans la haute atmosphère, provoquant l’année suivante une baisse des températures moyennes du globe de 0,4 à 0,6 °C. Soit à peu près un siècle de réchauffement climatique compensé en une éruption volcanique.


Dès lors, pourquoi ne pas copier le phénomène pour calmer le thermostat planétaire ? L’idée a été émise par Paul Crutzen, prix Nobel de chimie 1995 : l’injection annuelle, par ballons stratosphériques, de la moitié du volume de particules soufrées émises par le Pinatubo. Parmi les conséquences prévisibles de cette expérience d’apprenti sorcier : la division par deux, en vingt ans, de la couche d’ozone dans les régions polaires  [^5]…


De telles manipulations climatiques sont cependant examinées très sérieusement, habillées du terme respectable de géo-ingénierie : vaporiser des particules pour augmenter le pouvoir réfléchissant des nuages, capturer et stocker le CO2 dans des sites géologiques ou sous la mer, couvrir d’immenses aires d’arbres à croissance rapide, etc. Un groupe d’experts du Giec s’est réuni fin juin à Lima pour évaluer ces pistes. Un prochain rapport ne recommandera certes pas d’encourager la Chine à brûler du charbon, ni de semer du fer dans les océans pour fertiliser le plancton consommateur de CO2 (lubie déjà décrédibilisée). Mais de tels travaux montrent que la communauté internationale ne néglige aucune piste pour éviter de réduire les émissions de gaz à effet de serre à la source.


[^2]: Huit de ces dix années étaient certes enregistrées, en 2008, comme les plus chaudes depuis un siècle — mais sans accroissement notable sur cette période.

[^3]: Proceedings of the National Academy of Sciences, www.pnas.org/cgi/doi/10.1073/pnas.1102467108

[^4]: Les émissions soufrées sont responsables d’une catastrophe sanitaire en Chine (maladies pulmonaires, etc.) et de pluies acides.

[^5]: En cours de reconstitution, suite au bannissement 
de certains fluides réfrigérants depuis 1989.

Écologie
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