Quatre années de dégâts

Emblème du sarkozysme, le non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux désorganise gravement l’ensemble des services publics depuis 2007. Bilan inquiétant.

Pauline Graulle  • 1 septembre 2011 abonné·es

École, armée, police, impôts… La Révision générale des politiques publiques (RGPP), lancée en 2007 par Nicolas Sarkozy, n’épargne aucun service. Le non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux partant en retraite a conduit, ces trois dernières années, à la suppression de près de 90 000 postes en France.


À titre d’exemples, le ministère de la Défense se retrouvera amputé de 30 000 postes (sur 320 000) d’ici à la fin de l’année, le ministère des Affaires étrangères perd un tiers de ses effectifs dans certaines ambassades, et le taux de non-remplacement des fonctionnaires dans la Santé est de 109 % [^2]. Ce gigantesque « plan social » devrait s’alourdir avec 100 000 emplois supplémentaires supprimés d’ici à 2013. « À ce rythme-là, dès mi-2012, l’État aura le même nombre d’agents qu’en 1990 », se félicite le gouvernement, fier de ce « tournant historique ».

En fait, la RGPP s’apparente à un grand gâchis. Les économies ont souvent été réalisées à l’aveugle : seul 264 millions [^3] ont été économisés en 2010. Pis, la masse salariale a continué d’augmenter du fait de la promesse du chef de l’État de rétrocéder la moitié des économies réalisées aux agents restant en poste : appliquée de manière très inégalitaire selon les secteurs, cette règle aurait coûté plus que prévu (700 millions d’euros en 2009).


La dégradation en cascade des services publics est en revanche certaine. Quand la police peine à remplir ses missions, toute la justice est ralentie. Quand l’État se retire de ses prérogatives sociales, c’est aux départements, déjà exsangues, de lutter contre la pauvreté, et à l’hôpital de se transformer en charité !


Conséquences terribles pour les usagers tandis que les personnels, en proie à des réorganisations constantes et non concertées, sont fragilisés. Mi-juillet, les syndicats (CFDT, CGT, FO) du ministère des Finances réclamaient « l’arrêt immédiat » des suppressions d’emplois dans leur administration, faisant état d’une recrudescence de tentatives de suicide.


Même scénario à l’Office national des forêts, qui a enregistré, entre le 20 juin et le 19 juillet, quatre suicides. L’État, qui a prévu de supprimer plus de 600 postes d’ici à 2013, prévoit de privatiser une partie des activités forestières de l’Office, ­établissement de 9 500 agents sous tutelle du ministère de l’Agriculture.
Les chefs d’orchestre de la RGPP, hauts fonctionnaires ayant fait leurs classes dans le privé, continuent de prétendre que l’on peut faire mieux avec moins — François Baroin, ministre des Finances, appelle cela la « performance ». Ou comment l’État entérine, de fait, le développement de logiques managériales dans les services publics… La RGPP, « grande faucheuse » du modèle social français, laissera des séquelles irréparables.



L’école « comptabilisée »


Depuis 2008, les écoliers français doivent faire avec 48 000 profs en moins au total, 4 000 à 5 000 administratifs supprimés, et une diminution drastique des places aux concours des personnels de l’orientation et de l’éducation. Le recours aux vacataires et contractuels s’est donc intensifié (44 millions d’euros en 2010, 70 millions en 2011) et, « en 2011, les heures sup’ des personnels de l’Éducation nationale ont coûté un milliard d’euros au contribuable, contre 880 millions en 2008 », s’exclame Bruno Jaouen, secrétaire national du Sgen-CFDT. 


Les budgets de formation continue sont passés de 23 millions à 15 millions d’euros en trois ans, « alors que, s’il y a moins de professeurs, il faudrait au moins améliorer la pédagogie ! », fait remarquer Jean-Jacques Hazan, président de la FCPE. Avec en moyenne 30 élèves par classe au collège, et jusqu’à 40 au lycée, « on constate un alourdissement de la charge de travail des enseignants », relève Bruno Jaouen. Une enquête nationale de la CFDT révèle que les personnels ne « comprennent plus le sens de leurs missions de service public ».


« Les années Darcos ont été marquées par l’explosion du recours aux cours particuliers privés », pointe Jean-Jacques Hazan. « La logique comptable de la RGPP nie toute dimension pédagogique », ajoute-t-il.


En outre, la scolarisation des enfants de moins de 3 ans est en net recul. « Jusqu’en 2007, environ 30 % des moins de 3 ans étaient scolarisés, contre moins de 15 % aujourd’hui », relève Jean-Jacques Hazan. Les parents font donc appel plus longtemps aux crèches… surchargées.

Police « privatisée »


Dans la gendarmerie nationale, c’est la grande saignée : 3 500 équivalents temps plein travaillés (ETPT) auront été supprimés d’ici à la fin de l’année. Côté police nationale, les corps gradés et gardiens de la paix ont connu des coupes budgétaires de l’ordre de 25 % en 2010. Ils doivent affronter la perte de 10 000 emplois d’ici à 2012. « Il y a des services qui ne peuvent plus rendre leur mission de service public, explique Yannick Danio, délégué national d’Unité Police SGP-FO, premier syndicat de la police. Les interventions de proximité disparaissent. »


Les besoins restant les mêmes, 20 millions d’heures supplémentaires ont été réalisées par les 14 500 fonctionnaires de la police nationale. L’État fait aussi appel aux flics retraités ou aux volontaires sur leur temps de repos, recrute des agents de sécurité contractuels (de droit privé et payés au Smic), et encourage même la création de milices de citoyens. « La RGPP est devenue pour la police nationale un véritable cancer », dit Nicolas Comte, secrétaire général d’Unité Police SGP-FO.


Même les CRS ont été touchés par la RGPP. Événement rarissime, la suppression de 1 300 équivalents temps plein avait conduit, début 2011, près des trois quarts des CRS des compagnies sur la sellette à se faire porter pâles en signe de protestation…



Hôpital « affaibli »


Sale temps pour l’hôpital, qui, à cause de départs en retraite massifs, voit s’envoler chaque année 10 000 emplois. « Plus de 9 800 emplois ont été supprimés [en 2009] dans les hôpitaux publics, dont près de 5 000 personnels soignants, un chiffre qui devrait encore croître en 2010 », indiquait, en mars dernier, la Fédération hospitalière de France. 30 000 emplois en moins en trois ans… Et si l’hôpital privatise les services non tournés vers le soin (plomberie, cuisine, travaux, etc.), le corps soignant est également touché. Les personnels sont « très fatigués, témoigne Dominique Guisti, de CGT Santé et action sociale. Le turn-over est très important, les gens ne supportent plus de travailler à l’hôpital. Il y a des suicides, des burn-out. »


Pour les patients, la RGPP est synonyme de restriction d’accès du fait des déserts médicaux laissés par la fermeture d’hôpitaux et de maternités. Mais aussi d’un allongement de l’attente d’examens et d’une dégradation des soins. « De plus en plus, les malades sont envoyés dans le secteur du privé lucratif, qui, lui, ne souffre pas de la RGPP, souligne Dominique Guisti. Dans certaines régions, les patients n’ont même plus le choix entre public et privé. »


Justice « saccagée »


D’abord la refonte de la carte judiciaire. Au 1er janvier 2011, 401 juridictions avaient été supprimées (il en reste 819 aujourd’hui, contre 1 206 avant la réforme). 21 tribunaux de grande instance ont fermé, mais aussi 62 conseils de prud’hommes, 55 tribunaux de commerce et 178 tribunaux d’instance et juridictions de proximité (soit entre un tiers et la moitié de ces établissements)… « Le gouvernement a taillé à la serpe dans la justice de proximité, qui règle les petits litiges civils comme les contraventions, les tutelles, les petites violences…, indique Matthieu Bonduelle, secrétaire général du Syndicat de la magistrature. Personne n’était contre l’idée de supprimer quelques tribunaux, mais tout s’est fait sans concertation, en dépit du bon sens, comme ces tribunaux flambant neufs qui ont été rayés de la carte… Ce n’est plus une réforme, c’est un saccage ! » De plus, éloigner le peuple de sa justice a un coût : il faut déménager les tribunaux d’instance pour les rattacher aux tribunaux les plus proches, reloger magistrats et fonctionnaires dans des préfabriqués loués au privé…


Officiellement, les fonctionnaires de la Justice ne sont pas concernés par la règle du « un sur deux » . Mais « il y a une baisse drastique du recrutement des greffiers ou des fonctionnaires de catégorie C. , affirme Matthieu Bonduelle, qui avance le chiffre de 140 recrutés pour 225 départs. Néanmoins, ça devrait se tasser. Le ministère a compris qu’à ce train-là on va dans le mur ».

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La justice des mineurs, elle, n’est pas épargnée. À la Protection judiciaire de la jeunesse (PJJ), Éric Corsin, membre du SNPES-PJJ, parle de plus de 200 suppressions d’emplois (sur 9 000) depuis deux ans et d’une multiplication par cinq du nombre de contractuels depuis 2005… « La RGPP, explique Éric Corsin, a instillé une logique nouvelle : les directeurs deviennent des managers, la direction de la PJJ “achète” le silence des fonctionnaires dont on supprime les postes par des “primes de restructuration” qui, au final, coûtent cher à la PJJ. »

Les foyers accueillant les mineurs délinquants ferment (il en reste 75 sur 100), l’accueil en milieu ouvert se raréfie, tandis qu’éducateurs et psychologues sont redéployés dans les quartiers pour mineurs des prisons… Finalement, poursuit Éric Corsin, « la justice des mineurs connaît un alignement sur la justice des majeurs, plus expéditive, et où la préve ntion n’a pas sa place ».



Collectivités « asphyxiées »


Directement impactés par la RGPP du fait du désengagement de l’État dans les missions d’ingénierie publiques (aménagement des voiries, etc.), les départements doivent, en outre, faire avec un « transfert insidieux dans le champ social », explique Jean-Christophe Moraud, directeur général de l’Assemblée des départements de France. L’État ne finance plus le Samu social (voir Politis n° 1162) ? C’est aux conseils généraux que revient la prise en charge des femmes SDF et de leurs enfants. La PJJ se recentre sur le pénal pour faire des économies ? Les départements doivent suivre les mineurs au civil… L’école n’a plus les moyens de payer les cars scolaires ? Le département s’en charge… ou pas. « L’État passe son temps à nous refiler le mistigri, dit Jean-Christophe Moraud. Avec les transferts de charge et les allocations non compensés [RSA, APA], l’État doit aux départements entre 800 millions et un milliard de plus chaque année : nous sommes asphyxiés ! »


Les communes de moins de 20 000 habitants font les frais de « l’effet domino » de la RGPP. Certains élus de zones rurales s’arrachent les cheveux pour conserver ouvertes leurs écoles. Dans une étude du printemps 2011 auprès de 180 élus, l’Association des petites villes de France souligne que « la réforme de la carte judiciaire […] a été la plus lourde de conséquences. […] Sur les 317 tribunaux supprimés par la réforme, 239 avaient leur siège dans une petite ville ». Près de 74 % des élus interrogés, de gauche comme de droite, réclament une pause de la RGPP


[^2]: Le Monde, 12 juillet 2011


[^3]: (2) Ibid.

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