Les fuites du Stic

Des entreprises ont pu avoir accès au célèbre fichier de la police.

Claude-Marie Vadrot  • 5 avril 2012 abonné·es

Le Système de traitement des infractions constatées (Stic) de la police nationale contient actuellement 45 millions de fiches, comprenant aussi bien les noms des personnes mises en cause que ceux des victimes, tout ça artistiquement mélangé, au gré des compétences des fonctionnaires de police qui ­saisissent les données dans ce gigantesque fichier. Lequel grandit au rythme de 2 ou 3 millions de fiches chaque année. La Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil) a fréquemment souligné que l’annulation des poursuites, les gardes à vue ne débouchant sur aucune action judiciaire, ou même les affaires classées ou les relaxes ne sont pratiquement jamais signalées, si bien qu’un tiers au moins des informations sont erronées.

Le Stic, mais aussi Judex, le fichier équivalent de la gendarmerie, regroupent ainsi quantité d’informations privées et confidentielles sur les personnes ayant été entendues ou mises en cause par des policiers ou des gendarmes, y compris lorsqu’il s’agissait de simples témoins [^2] : un trésor en quelque sorte, qui provoque la convoitise des entreprises qui cherchent à en savoir davantage sur leurs salariés et sur leurs clients. En tête, les banques, les organismes de crédit, les compagnies d’assurance, qui n’hésitent pas à faire appel aux services d’agences de police privées ou de détectives.

Ces officines sont en général dirigées par d’anciens gendarmes ou officiers de police, qui ont bien sûr gardé des liens avec leurs collègues en activité. Moyennant finances, ceux-ci autorisent ceux-là à puiser dans les précieux fichiers. Chaque policier ou gendarme en activité doit entrer son code personnel pour avoir accès à la base de données. Mais dans le cadre d’une procédure ou d’une recherche pour les « besoins du service », il est très facile de glisser une demande personnelle sans que cela se remarque.

L’affaire des renseignements confidentiels obtenus sur des salariés et des clients d’Ikea, ou celle concernant des membres du personnel de Disneyland, pour n’évoquer que les plus connues, illustrent ce recours illégal aux fichiers de police. À chaque fois, les dirigeants des entreprises feignent de tomber des nues, après avoir donné carte blanche à leurs responsables du personnel. Ainsi, Ikea avait passé une « commande » auprès de l’enquêteur privé Jean-Pierre Fourès, relative à 203 salariés d’un magasin de Rouen.
Les compagnies d’assurances et certains cabinets immobiliers ont recours aux mêmes procédés. Les premières se procurent des renseignements médicaux confidentiels, voire l’historique des maladies et des médicaments prescrits, tandis que les seconds tentent de s’informer sur les comptes bancaires et les avoirs en actions.

Une vingtaine d’affaires ont été découvertes au cours des cinq dernières années, dans le sud-est de la France et la région parisienne essentiellement. Les instructions traînent et aucune condamnation n’a été prononcée contre les agents de la PAF, les gendarmes et les commissaires pris la main dans le Stic.

Ces indiscrétions illégales risquent cependant de vite passer pour démodées. Depuis quelques mois, une société spécialisée [^3] a mis tout à fait légalement sur le marché, pour moins de 200 euros, une balise grosse comme une clé USB qui peut se fixer sous une voiture ou se dissimuler dans une valise, permettant de localiser les faits et gestes de la personne ciblée…

[^2]: Ayant été moi-même victime d’un vol de chéquier et entendu à ce titre par la police, j’ai eu la surprise de constater, après avoir demandé à un ami capitaine de police de taper mon nom dans le Stic, de découvrir que j’étais considéré comme « impliqué dans une affaire d’escroquerie avec des chèques volés »…

[^3]: Pour ne tenter personne, Politis ne donne pas le nom de cette société française dont le siège est au Kansas, aux États-Unis.

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