Une opération de bidonnage

Pour justifier la nécessité d’une « grande réforme » du secteur, Nicolas Sarkozy s’appuie sur des chiffres erronés en matière de contrôle des organismes.

Thierry Brun  • 5 avril 2012 abonné·es

Depuis le mois de février, le gouvernement est lancé dans une croisade fort médiatisée contre les fraudes concernant les fonds de la formation professionnelle, et Nicolas Sarkozy a fait d’une nouvelle réforme de ce secteur l’un de ses axes de campagne.

La mise en avant de certains chiffres sur le contrôle des organismes de formation et des organismes collecteurs agréés (OPCA), gérés par les partenaires sociaux, n’a rien d’anodin. Le secteur est bien connu pour ses fraudes (la plus médiatique étant l’affaire de la caisse noire de l’IUMM, puissante fédération de la métallurgie affiliée au Medef, en partie alimentée par des fonds de la formation professionnelle), ses escroqueries multiples, son opacité et ses conflits d’intérêt. Et la formation professionnelle connaît une explosion du nombre d’organismes : plus de 77 000 en 2011, alors qu’ils n’étaient qu’environ 68 000 en 2010, et près de 60 000 en 2009, selon des données que Politis s’est procurées. Quelque 31 milliards d’euros ont été consacrés à cette activité en 2009, une manne en hausse constante et facile à capter par la pléthore d’organismes, difficile à contrôler par un effectif (140 agents) qui n’a pas été renforcé depuis la fin des années 1990. Ouvrir un centre de formation est en effet à la portée du premier venu…

Début février, Nicolas Sarkozy affirme donc que l’argent de la formation professionnelle doit aller en priorité aux chômeurs. Peu suspect de laxisme en matière de fraudes sociales, le gouvernement multiplie les déclarations. Nadine Morano, ministre de l’Apprentissage et de la Formation professionnelle, présente le 8 février devant l’Assemblée nationale le chiffre de 4 000 contrôles réalisés en 2011 et en fait l’instrument d’une croisade contre la fraude. Le 10 février, le Figaro reprend l’information et publie un article avec ce titre choc : « L’ombre des sectes sur les formations professionnelles ». On y apprend que, sur les 4 000 organismes contrôlés en 2011, 40 se sont vus retirer leur numéro d’enregistrement au répertoire des organismes de formation professionnelle.

Nadine Morano en rajoute en affirmant « avoir diffusé en janvier une circulaire avec des “consignes très strictes” pour “renforcer les contrôles” en se basant sur les 4 000 contrôles effectués en 2011 » [^2]. La ministre omet de préciser que l’instruction de janvier 2012, rédigée par Bertrand Martinot, délégué général à l’emploi et à la formation professionnelle (DGEFP), que Politis a pu consulter, évoque « 4 089 opérations de contrôle en 2010 » et non en 2011. Le texte ajoute que le nombre d’organismes de formation contrôlés « s’est établi à 2 848 en 2010 », sur 68 000, ce qui en relativise la portée.

Non vérifiée, l’information gouvernementale fait son chemin et laisse dubitatifs les contrôleurs eux-mêmes : « En réalité, les 40 retraits, à confirmer, peuvent simplement concerner des organismes qui donnent des cours de yoga ou de peinture sur soie, sans rapport avec la formation professionnelle. Et les services régionaux de contrôle ne sont pas compétents pour qualifier l’infraction de publicité mensongère… », ironise un contrôleur, sous couvert de l’anonymat.

Contacté à plusieurs reprises par Politis, Bertrand Martinot n’a pas répondu à notre question sur le nombre de contrôles. Les statistiques seraient-elles frappées du sceau du secret, ou introuvables ? Rassemblées par les services de contrôle régionaux dans le système d’information Pactole, ces statistiques font apparaître qu’1,3 % des organismes ont été contrôlés en 2011, c’est-à-dire à peine plus d’un millier. La même base de données montre aussi que 1 928 contrôles ont été réalisés en 2010 « sur un total de 141 544 acteurs soumis au contrôle », indique le ministère du Budget dans ses indicateurs de performances publiques [^3]. « Nos données ne sont pas fiables ni homogènes entre régions. Il y a souvent des erreurs, et il n’y a aucun mode d’emploi de ce qu’on doit considérer comme un contrôle ou pas. Ce qui permet de dire n’importe quoi », tempère un contrôleur.

En clair, les déclarations de Nadine Morano et l’instruction de janvier 2012 reposent sur du vent. Le gouvernement chercherait à masquer les vrais abus liés à la formation professionnelle qu’il ne s’y prendrait pas autrement.

[^2]: Dans la Tribune du 8 février.

[^3]: Dans une annexe au projet de Loi de finances pour 2012.

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