2011, année révolutionnaire ?

Indignados, Occupy Wall Street, printemps arabes… la revue Contretemps propose un recueil de textes issus des récents mouvements contestataires.

Olivier Doubre  • 17 mai 2012 abonné·es

Quelle année 2011 ! Bizarrement, ou plutôt malheureusement, en France, nous nous en sommes à peine aperçus. Nous étions sans doute encore écrasés par la défaite du mouvement contre la réforme des retraites de l’automne 2010. Englués dans la vulgarité sarkozyste. Nous portions du coup tous nos espoirs sur l’élection de mai 2012, n’osant encore rêver de nous débarrasser du locataire de l’Élysée. C’est aujourd’hui chose faite. Or, la lecture du petit recueil de textes intitulé #indignés  !, que vient de publier le label Zones (des éditions La Découverte), nous ouvre les yeux sur des événements dont il semble surprenant qu’ils n’aient pas davantage touché la France. Et même qu’elle n’en ait pas été l’un des moteurs, forte de sa tradition frondeuse si souvent admirée de par le monde.

Ce que nous donnent à voir ces textes réunis par la revue Contretemps , fondée en 2001 par le regretté Daniel Bensaïd, c’est une année d’indignation et de luttes dont personne n’aurait osé rêver en 2010. Une année 2011 qui fut celle du « surgissement des peuples des places » .

Le livre s’ouvre sur une lettre très émouvante de l’activiste américaine d’Occupy Wall Street, Rebecca Soinit, à Mohamed Bouazizi, ce jeune Tunisien, vendeur ambulant des quatre saisons, qui s’est immolé par le feu le 17 décembre 2010 pour protester contre l’arbitraire de la police de Ben Ali et qui – sans le savoir – a donné le coup d’envoi de ce que l’on appelle aujourd’hui le « printemps arabe ». On connaît la suite : la chute du dictateur tunisien, la contagion à l’Égypte, où le peuple de la place Tahrir finit par renverser bientôt Moubarak à son tour, et des mouvements massifs au Yémen, à Bahrein (réprimé par l’Arabie Saoudite), à Benghazi (qui viendra à bout de Kadhafi), en Syrie (qui se poursuit aujourd’hui sous les bombes, la torture massive et une répression sanglante), à Amman, à Beyrouth…

Puis, en cette même année 2011, dans cet Occident supposé si riche, va naître un autre mouvement international de révolte contre la précarité généralisée et la concentration outrancière des richesses. Un mouvement, comme le montre admirablement ce volume, qui peut à bon droit être lu comme un pendant du printemps arabe.

Les Indignados espagnols de la Puerta del Sol et les manifestants d’Athènes, puis de Rome, lancent à leur tour une « onde mondiale de mobilisations » contre l’arbitraire et le cynisme des spéculateurs boursiers (réalisant des milliers de transactions chaque nanoseconde), « le décervelage néolibéral » , « les délires de la finance libéralisée, cause immédiate du chaos économique et social » . On le sait, les activistes de ce mouvement, qui a commencé au plus près du monde arabe, juste de l’autre côté de la Méditerranée, ont repris – rare contribution française à celui-ci – l’injonction inscrite dans le titre de l’opuscule de Stéphane Hessel, Indignez-vous !, avant de s’étendre au cœur du système capitaliste, avec la mobilisation d’Occupy Wall Street. Sans oublier, dans le cyberespace, celle des Anonymous.

Mêlant interventions réalisées à chaud, manifestes collectifs rédigés par ces « peuples des places » (signalons notamment la passionnante adresse de « camarades du Caire à leurs camarades d’Amérique » ) et des textes plus théoriques de plumes prestigieuses (dont Judith Butler, Mike Davis, David Harvey ou Slavoj Žižek) qui saluent les activistes espagnols, grecs, tunisiens ou égyptiens sans oublier les étudiants chiliens ou londoniens, ce livre retrace – ou, mieux, relie – l’ensemble de ces mouvements. Il constitue ainsi un document essentiel sur cette année 2011 et ce « commun précieux » qu’ils ont créé – qui permet à l’équipe de Contretemps, dans sa préface, d’écrire qu’il « est déjà clair que, comme en 1848 ou 1968, la possibilité d’un autre futur s’est entrouverte en 2011 »

Idées
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