À flux détendu

Christophe Kantcheff  • 3 mai 2012
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Il fut un temps où la parole des écrivains sur la chose publique comptait. Les prises de position des intellectuels antifascistes dans les années 1930, celles de Sartre à la Libération, ou encore celles des 121 pendant la guerre d’Algérie, toutes ont eu une influence considérable. Pour différentes raisons, notamment à cause de la banalisation de « l’intellectuel médiatique », tel n’est plus le cas aujourd’hui.

La tribune qu’Annie Ernaux
a publiée dans le Monde daté du 29 avril, intitulée « 1er Mai : alerte à l’imposture ! », dénonçant la contre-manifestation organisée par Nicolas Sarkozy, est pourtant rien moins qu’anodine. Elle est même d’une singulière importance.

D’abord, et c’est une condition nécessaire, par l’acuité de l’analyse dont l’auteur de la Place fait preuve. Pas de petit bout de la lorgnette chez elle, ni de facilités gauchisantes, mais une implacable déconstruction du discours et de la politique du président candidat et de son parti. « Le 1er Mai de Sarkozy et de l’UMP, c’est en réalité la fête du libéralisme dur » , écrit-elle.
Ensuite, parce qu’Annie Ernaux vient combler un manque, qui était devenu douloureux. Les écrivains ont-ils trop bien intégré le fait que leur parole était dépréciée pour déserter à ce point le débat public ? Le même quotidien du soir avait certes publié des écrivains à la veille du premier tour. Ceux-ci s’appelaient Yves Simon, Jean d’Ormesson et même Renaud Camus. Souvenons-nous aussi des protagonistes de la dernière dispute littéraire ayant eu quelque écho, sur le réalisme : Charles Dantzig et Frédéric Beigbeder. Tous des noms déprimants !

De par son envergure littéraire, la reconnaissance symbolique dont elle jouit et le courage de ses engagements, Annie Ernaux rétablit l’autorité des mots de l’écrivain. À quelques jours d’une élection cruciale, une conscience s’est exprimée.

Culture
Temps de lecture : 2 minutes
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