Arthur, enchanté

Julie Brochen et Christian Schiaretti montent le premier volet d’une fresque sur le cycle du Graal.

Gilles Costaz  • 24 mai 2012 abonné·es

Trente heures de théâtre ! C’est l’objectif que se sont donné deux bastions du secteur subventionné, le Théâtre national de Strasbourg et le Théâtre national populaire de Villeurbanne, autour du colossal cycle du Graal Théâtre, de Florence Delay et Jacques Roubaud. L’affaire commence tout juste, avec un premier épisode de trois heures, Merlin l’enchanteur. Les neuf autres pièces du cycle seront créées peu à peu – Gauvain et le Chevalier vert est programmé pour la saison prochaine.

Ce bel accord, qui rompt avec la politique de tour d’ivoire de bien des établissements publics, est d’abord celui de deux directeurs-metteurs en scène, Julie Brochen, patronne du TNS, et Christian Schiaretti, le maître du TNP. Ils se sont associés, allant jusqu’à faire cette première mise en scène de conserve, mais ils devraient monter les spectacles suivants individuellement – tout en mêlant les acteurs permanents des deux équipes. C’est en effet l’un des autres enjeux de l’aventure : impliquer deux troupes dans un brassage des talents pour des réalisations qui exigent de grandes distributions.

Florence Delay et Jacques Roubaud ont échelonné leur écriture du Graal Théâtre sur une trentaine d’années. Marcel Maréchal en avait, par exemple, monté deux épisodes en 1979. Pour cette réécriture, les deux auteurs ont puisé aux sources les plus évidentes : les textes du Moyen Âge français, les récits de Chrétien de Troyes notamment. Puis ils ont cherché ce que les mythes de la Table ronde avaient pu produire dans la diversité de l’Europe. Ils ont ainsi reconstitué, dans un langage de théâtre, des récits réunis autour d’une trame principale, l’ascension du roi Arthur et la quête de cette mystérieuse coupe divine, le Graal.

Les pièces sont à la fois archaïques, avec la volonté de mettre en lumière la pensée politique et la philosophie médiévales, et modernes, parce qu’elles intègrent les regards d’aujourd’hui, ce qui produit parfois des ressemblances étonnantes avec des références contemporaines. Bien qu’archéologues d’un imaginaire lointain, les deux écrivains ne se sont pas privés d’être eux-mêmes.
Pour Merlin l’enchanteur, chronique du magicien qui favorisa les premiers pas d’un Arthur doutant encore de son destin de roi, le parti pris de Julie Brochen et de Christian Schiaretti a été celui d’un certain hiératisme, avec un espace dépouillé qui se creuse ou s’emplit de quelques éléments abstraits ou évocateurs : des enluminures, la fameuse Table ronde, jamais posée mais toujours suspendue dans les hauteurs. Cette rigueur est séduisante, mais, sans doute, la double direction présidant à la mise en scène a-t-elle entraîné des compromis et empêché que l’on opère des choix plus marquants.

Quant à Merlin, on a décidé d’en faire un être inquiétant et ricanant : Jean-Claude Leguay l’incarne avec une frappante férocité. Le jeu de ses partenaires – Fred Cacheux, Cécile Péricone, Xavier Legrand, Hugues de la Salle, Olivier Borle, Marie Desgranges, Muriel Inès Amat, notamment – s’appuie plus sur la distance ou le symbole.

La fresque a belle allure, lourde d’interrogations stimulantes sur l’appréhension de l’organisation sociale et du pouvoir. Mais le code théâtral, le style – passion et hantise de Schiaretti – devraient être plus affirmés. Ce qui ne semble pas impossible, puisque les spectacles sont appelés à être repris et repensés au fil du développement de cet extraordinaire projet gigogne.

Théâtre
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