Groland se visite à Sète

Créée en 1992, la célèbre « Présipauté » fête ses 20 ans au Musée international des arts modestes (Miam). Du férocement incorrect, qui tient impeccablement le coup.

Jean-Claude Renard  • 7 juin 2012 abonné·es

Des trognes ordinaires, parfois patibulaires, des petits bourgs transpirant le terroir, aux noms évocateurs (Pirognon-les-Tatouilles, Defequin, Chichigneux), un président autoproclamé pour sept ans renouvelables, des trublions qui viennent chahuter le banal du quotidien. On connaît la Présipauté de Groland, dont les nouvelles parviennent au monde à travers la petite lucarne et son journal télévisé. Un JT présenté par Jules-Édouard Moustic, avec ses infos, ses reportages de proximité, ses fêtes de l’andouillette à la manière de Jean-Pierre Pernaut, ses « pages » monde, et notamment son regard sur son voisin français.

Il y a principalement le ton « Groland », porté par des électrons libres, son présentateur vedette, certes, mais encore, en scène ou à l’écriture, Benoît Delépine, Gustave Kervern, Christophe Salengro (en président), Francis Kunz, Franck Bellocq, véritables enfants de Goscinny, de Gotlieb et du professeur Choron… Un ton politiquement incorrect, subversif, absurde, grossissant les traits, qui ne s’épargne pas de scatologie, tapant crûment sur la droite. Jubilatoire. Qui rassemble mine de rien plus d’un million de téléspectateurs chaque samedi. Une régularité et un succès, à l’heure de l’explosion des chaînes sur la TNT, qui dit une adhésion, un besoin d’irrévérence dans un paysage audiovisuel devenu, depuis la création du magazine, consensuel et bien poli, faisant glisser les turbulences subversives dans le spectaculaire, nourrissant le clash attendu et le buzz. « Groland », voilà vingt ans que ça dure, sur Canal +. En termes de programmes télé, ça ressemble à l’éternité… Pour l’occasion, la Présipauté s’est déplacée à Sète, au Musée international des arts modestes (Miam), pour une exposition orchestrée par Bernard Tournois (vice-président du musée, ancien directeur des programmes d’Arte), riche de 150 pièces, baptisée « Gromiam », retraçant les étapes de l’histoire de cette Présipauté imaginaire.

L’expo met en valeur le travail effectué par les costumières, les accessoiristes et les décorateurs, suivant les thématiques du magazine comme la religion, la sexualité, la consommation et la nationalité. Un parcours qui s’ouvre sur des photographies de New York inédites de Jules-Édouard Moustic et jalonné des objets récurrents de Groland : ainsi l’amphore, l’emblème de la Présipauté, et la fameuse buvette de Groland, un hommage à Courbet titré « Bonjour Monsieur Courbet », avec un sexe à travers lequel le spectateur passe la tête, la cinémathèque grolandaise, proposant une sélection du journal télévisé de Groland et près de cinq cents de ses meilleurs sketches. Une panoplie de personnages hybrides et d’objets ordinaires, familiers, aux significations ambiguës.

Des objets et des espaces symboliques grolandais mis en regard avec des travaux d’artistes contemporains, puisés dans la collection particulière d’Antoine de Galbert (président de la fondation de la Maison rouge, à Paris), non moins dépourvus d’esprit ludique et provocateur : Claude Lévêque utilisant le néon pour composer des sentences graves et grinçantes ; une série d’une cinquantaine de dessins de Luc Weissmüller croquant le Président Salengro à l’occasion de ses chasses, dans ses moments amoureux, en vacances, dans une posture internationale ; une maquette de Gilles Barbier, dite « le Trou du cul du monde », représentant un bidonville et son fatras d’ordures ; John Isaacs installant un ogre monumental, interpellant nos modes de vie et la société de consommation, quand un tiers de la population mondiale crève de faim tandis que les deux autres tiers soignent leurs problèmes d’obésité et entretiennent leurs régimes. Un pêle-mêle noir et humoristique, qui se pose en critique du monde moderne, soulignant l’absurdité universelle. Des œuvres en résonance déconnante mais lucide. Un condensé de « Groland ». Banzaï !

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