Essai de la semaine : Le destin à inventer de la Tunisie

Une enquête sur les conditions difficiles de la transition démocratique dans ce pays du Maghreb.

Olivier Doubre  • 12 juillet 2012 abonné·es

Ouvrant notre récent dossier sur le « printemps arabe », Denis Sieffert rappelait [^2], dix-huit mois après la chute de Ben Ali (le 14 janvier 2011) : « Après l’illusion lyrique des premières semaines, nous redécouvrons que les processus révolutionnaires sont longs et chaotiques. » C’est bien ce qui apparaît à la lecture de la rigoureuse enquête de Pierre Puchot au cœur de la Tunisie post-révolutionnaire. L’auteur, correspondant de Mediapart au Maghreb et au Moyen-Orient, avait déjà séjourné depuis 2008 à de nombreuses reprises dans la Tunisie de Ben Ali et assisté au soulèvement des Tunisiens [^3]. Il a poursuivi son immersion dans ce pays pendant plus d’un an, pour tenter d’ « entrer dans l’intimité du corps de l’État tunisien, l’ausculter comme le ferait un chirurgien […], prendre son pouls, appréhender son mal, sentir son souffle de vie pour livrer un premier diagnostic sur la transition tunisienne ».

Beaucoup de progressistes du ** monde entier, Occidentaux en tête, emportés par leur allégresse au soir du 14 janvier 2011, avaient cru que, « libérée du dictateur honni » après un petit mois de manifestations, la Tunisie était, d’un coup d’un seul, devenue démocratique. Le livre de Pierre Puchot se charge de les rappeler aux rudes réalités de l’histoire en prévenant d’emblée que, « par la description des coulisses du climat de terreur instauré par les autorités pour se maintenir en selle, [son] ouvrage donne à comprendre les mécanismes juridiques et politiques de la confiscation de la révolution tunisienne  ». Car le départ du seul Ben Ali et de sa femme, l’odieuse Leila Trabelsi, n’a évidemment pas suffi à bouleverser le pays tout entier. Les habitudes d’une caste au pouvoir depuis des décennies, d’une police politique violente et corrompue, de médias aux ordres, dont certains journalistes sont aussi fonctionnaires du ministère de l’Intérieur, ont la vie dure. Le grand apport de l’enquête de Pierre Puchot, après les élections de l’Assemblée constituante qui, en novembre 2011, ont donné une majorité relative aux islamistes modérés du parti Ennahda, est de nous mettre en garde contre nos réflexes occidentaux vis-à-vis de ce parti. Selon Moncef Marzouki, l’ancien exilé devenu président de la République, il faut sortir de cette « dichotomie franco-française » qui croit qu’il y a « les laïques et les obscurantistes » et « accepter qu’une partie conservatrice de la société demande à jouer un rôle ». Il s’agit en fait d’appréhender la révolution tunisienne « avant tout [comme] l’histoire d’un rapport de forces permanent, entre la rue, la société civile renaissante et l’establishment d’hier, ce dernier étant prêt à tout pour conserver sa place dans cette Tunisie nouvelle ».

[^2]: Cf. Politis n° 1209, du 28 juin 2012.

[^3]: Il en avait tiré son premier ouvrage, déjà remarqué : Tunisie, une révolution arabe, Galaade éditions, 2011.

Idées
Temps de lecture : 3 minutes

Pour aller plus loin…

L’insurrection douce, vivre sans l’État
Idées 4 juin 2025 abonné·es

L’insurrection douce, vivre sans l’État

Collectifs de vie, coopératives agricoles, expériences solidaires… Les initiatives se multiplient pour mener sa vie de façon autonome, à l’écart du système capitaliste. Juliette Duquesne est partie à leur rencontre.
Par François Rulier
Isabelle Cambourakis : « On ne pourra plus revenir à une édition sans publications féministes »
Entretien 4 juin 2025 abonné·es

Isabelle Cambourakis : « On ne pourra plus revenir à une édition sans publications féministes »

Il y a dix ans, les éditions Cambourakis créaient la collection « Sorcières » pour donner une place aux textes féministes, écologistes, anticapitalistes écrits dans les années 1970 et 1980. Retour sur cette décennie d’effervescence intellectuelle et militante avec la directrice de cette collection.
Par Vanina Delmas
« Si ArcelorMittal tombe, c’est l’ensemble de l’industrie française qui tombe »
Entretien 27 mai 2025 abonné·es

« Si ArcelorMittal tombe, c’est l’ensemble de l’industrie française qui tombe »

Alors qu’ArcelorMittal a annoncé un vaste plan de suppressions de postes, la CGT a décidé d’entamer une « guerre » pour préserver les emplois et éviter le départ du producteur d’acier de l’Hexagone. Reynald Quaegebeur et Gaëtan Lecocq, deux élus du premier syndicat de l’entreprise, appellent les politiques à envisager sérieusement une nationalisation.
Par Pierre Jequier-Zalc
Le mirage du recyclage
Écologie 21 mai 2025 abonné·es

Le mirage du recyclage

Malgré l’affichage et l’argent dépensé dans le recyclage, notre consommation de ressources naturelles ne ralentit pas. Un paradoxe que pointe un ouvrage – Du bon usage de nos ressources, de Flore Berlingen – appelant à changer radicalement de modèles de production et de consommation.
Par Mathilde Doiezie