Donner aux gays le droit d’adopter ?

Avec le projet de loi autorisant le mariage des couples homosexuels, revient la question de l’adoption par ces couples. Selon Stéphane Nadaud, la refuser revient à s’opposer aux valeurs d’une société de droit. Pour Pierre Lévy-Soussan, une telle situation briserait la construction psychique de l’enfant.

Olivier Doubre  • 18 octobre 2012 abonné·es

Illustration - Donner aux gays le droit d’adopter ?

Précisons d’abord que, sur cette question, mon discours n’est pas celui d’un expert « psy ». En tant que « psy » (-chiatre, -chologue, -chanalyste), je pense qu’il est impossible de se prononcer « pour » ou « contre » l’adoption d’enfants par les couples de même sexe. Selon moi, la seule position qui vaille sur une telle question ne peut être que politique. La question : « Être homosexuel entraînerait-il le fait d’être un plus mauvais parent que les autres, voire l’impossibilité de l’être ? » est spécieuse. Se la poser – et pire, y répondre par l’affirmative –, c’est s’opposer aux valeurs d’une société de droit. C’est la raison pour laquelle, en qualité de citoyen, je ne peux qu’être favorable à l’adoption par les couples de même sexe. En ce qui concerne les discours des « psys » sur cette question, le problème de fond est en réalité celui de la façon dont est utilisée par les soi-disant « experts psys » la notion d’« intérêt de l’enfant ». Si c’était vraiment de l’intérêt de l’enfant qu’il s’agissait, nous n’entendrions pas les horreurs que nous entendons. Au nom de l’intérêt de l’enfant, la question qui s’exprime est en fait celle de la place – et de l’exclusion – des minorités (sexuelles, sociales…) dans notre société. Je frémis en imaginant ce que les « contre l’adoption par les personnes de même sexe » diraient, quant au droit d’adopter, à propos des handicapés mentaux, des usagers de drogues, des sans-papiers, etc.

Dans le domaine psy, il n’existe de toute façon pas de définition assez claire de l’intérêt de l’enfant pour qu’on puise l’utiliser correctement. Lorsque cette notion est utilisée, elle dissimule souvent le fait qu’au bout du compte ce sont les homosexuels (les « pédés » et les « gouines ») qui posent problème aux « psys » ! Que signifierait « être clair » quant à l’intérêt de l’enfant ? En tant que praticien, je pense qu’il ne doit pas être disjoint de l’intérêt de ses parents, et que leur intérêt commun n’est pas différent de l’intérêt (politique) de la société dans laquelle ils vivent. Dans une société comme la nôtre, où des milliers d’homosexuels sont déjà parents, interdire l’adoption à des couples de même sexe au nom de « l’intérêt de l’enfant » revient à leur dire (à eux et à leurs enfants) : « Vous qui êtes déjà parents (par exemple parce que vous avez eu un enfant lors d’une précédente union « hétérosexuelle »), vous n’êtes pas, en tant que parents, légitimes, et votre enfant est en danger » ! Ce qui me semble évidemment non seulement problématique mais surtout d’une grande violence. Pourtant les psys qui, au nom de l’intérêt de l’enfant, sont horrifiés à l’idée de « l’adoption par des personnes de même sexe » sont aussi ceux qui affirment que retirer leurs enfants à des homosexuels qui en ont déjà serait « inhumain » !

Plus que l’intérêt de l’enfant, ce qui les motive est peut-être l’intérêt de la société, d’un certain type de société en tout cas : une société qui cache son côté réactionnaire et normatif sous des termes comme « ordre » et « symbolique ». N’est-ce pas une preuve flagrante que l’utilisation de « l’intérêt de l’enfant » cache le plus souvent autre chose ? Autre chose qui sent très – mais vraiment très – mauvais. 

Illustration - Donner aux gays le droit d’adopter ?

L’adoption par les couples de même sexe, dont la possibilité est proposée par le projet de loi sur le mariage de ces couples, ne serait plus de l’adoption. En effet, l’adoption ne fonctionne véritablement que parce qu’un enfant peut faire comme si ses parents adoptants étaient ses vrais parents. C’est la base fondamentale à la fois de l’adoption et de la filiation via les procréations médicales assistées.

Il existe donc une fiction psychique qui est équivalente à la fiction juridique, c’est-à-dire que cet enfant devient véritablement le fils ou la fille de l’un et de l’autre sexe. Et c’est parce qu’un enfant peut s’imaginer être né de cet homme et de cette femme que ces filiations un peu particulières fonctionnent. L’enfant sait bien qu’il y a un ailleurs, mais il aurait pu venir de cet homme et de cette femme. À partir du moment où vous dites que deux mères ou deux pères peuvent avoir un enfant, qu’ils sont tous les deux parents, cela brise la construction psychique de l’enfant. Cela ne devient plus possible ; c’est pourquoi j’ose dire que cela devient un non-sens. Nous n’avons là que de faux parents, aussi bien pour l’un que pour l’autre ; c’est-à-dire qu’il n’y a plus ni père ni mère. D’ailleurs, le projet de loi va dans ce sens puisqu’il supprime les termes de père et de mère, pour celui indifférencié de « parent », mais, dans le même temps, il supprime les termes d’homme et de femme pour les remplacer par celui – absolument formidable pour un psychanalyste – de « personne ». Je lis là que cet enfant devient l’enfant de personne ! C’est pour cela que ce projet me semble terrible.

En outre, d’un point de vue éducatif, on sait bien que, dans un couple, lorsqu’il y a une mère et l’amie de la mère, ou le père et l’ami du père, c’est toujours plus compliqué pour un enfant, même si ce n’est pas une situation impossible. Je parle là des couples de même sexe dont l’un des membres a eu un enfant au cours d’une relation hétérosexuelle passée. Aussi, pour un enfant, se retrouver dans une situation où il n’aura ni père ni mère – ou plutôt où il aura deux mères ou deux pères –, ne voudra strictement rien dire à ses yeux ** ; c’est donc un vrai problème. J’ai parlé de « fiction » pour un enfant adopté par un couple hétérosexuel : avec ce projet de loi, cela devient de la science-fiction ! On ne peut pas naître de deux personnes de même sexe, c’est ainsi. Un enfant a besoin de fiction, non de science-fiction. J’ajoute que l’adoption étant déjà en soi une filiation à risque, aucun professionnel ne prendra la décision de mettre un enfant dans une situation encore plus à risque. Un enfant adopté ayant déjà perdu son père et sa mère, la dette que nous avons envers lui, c’est de lui permettre de construire une famille la plus banale possible. On ne saurait lui rajouter des difficultés. L’adoption est déjà une difficulté, il ne s’agit pas de placer l’enfant dans une situation encore plus compliquée d’un point de vue psychique.

Je sais bien que cela existe déjà. Pourtant, des études commencent à sortir qui montrent que ces enfants vont, dans une majorité de cas, plus mal que d’autres. Il y avait un tabou jusqu’ici qui interdisait de le dire, et les études disponibles jusqu’à présent étaient faites par des militants purs et durs avec des biais de recrutement majeurs. Il a fallu dix ** ans pour arriver à lever le tabou sur les parents adoptants, dont on sait aujourd’hui qu’ils peuvent être des parents à risques, je pense que le tabou sur les parents de même sexe va bientôt être levé lui aussi.

Clivages
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