« Manif pour tous » : une opération de com’ bien huilée

Derrière la guerre des chiffres – entre 340 000 et 800 000 manifestants selon les sources –, il y avait dimanche une guerre des images finement préparée. Reportage.

Olivier Doubre  et  Nina Bontemps-Terry  • 14 janvier 2013
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« Manif pour tous » : une opération de com’ bien huilée


Photos : Michel Soudais

Dans le cortège, rien ne dépasse. La communication est parfaite. Tous les drapeaux et pancartes sont fournis par les organisateurs. Les slogans sont scandés par les animateurs et repris pas les manifestants. Tout est cloisonné.

En bas de la très chic avenue de la Grande-Armée, les participants descendent des cars. Sous un porche, des familles débarquées prononcent le bénédicité avant de dévorer leurs sandwiches. Les sacs sont remplis de brioches, boissons et autres denrées nécessaires à la survie. Après quelques kilomètres, ils croisent un campement de SDF sur le bord du trottoir. Ils observent ces étranges nomades, aussi craintifs que fascinés.

« Désolé, je n’ai pas de monnaie »

Les organisateurs s’organisent en péage pour une récolte de dons, avenue du Président Wilson. Les élus, scrutés, glissent volontiers de gros billets. D’autres manifestants d’aspect chic font mine de fouiller leurs poches et lâchent un « désolé, je n’ai pas de monnaie  ».

Illustration - « Manif pour tous » : une opération de com’ bien huilée - Photo : Nina Bontemps-Terry

Parmi les manifestants, des enfants très nombreux. Slogans peints sur le visage, le manteau couvert d’autocollants, ils agitent des drapeaux et chantent en chœur : «  Hollande ta loi on n’en veut pas  », «  on veut du sexe pas du genre  ». «  Nous sommes là pour les droits des enfants  », clament les participants. Ces enfants, que savent-ils des institutions que leurs parents entendent défendre ? Pas la peine de leur poser la question : «  Je ne veux pas répondre à ça  », clôt une mère dont les trois enfants sont vêtus aux couleurs de la manifestation.

Un couple gay ça ne passe pas

Les participants ont été briefés à l’aide des « consignes et conseils  » diffusés sur le site de la manifestation. Dans lesquels ils sont clairement invités à ne pas répondre aux journalistes et à réciter à la place les messages contenus dans les tracts. Sous prétexte que «  l’action de rue n’est pas le moment d’interview et de débat  ». Ce que les organisateurs craignent en réalité, c’est que les discours individuels ne virent au mépris, voire à l’homophobie explicite.

Les conversations privées sont plus libres. Si beaucoup se taisent ou parlent bas, d’autres se laissent aller. Dans le cortège porte Maillot, majoritairement bourgeois, on ne critique pas seulement le mariage. «  On veut la parité dans les entreprises, dans le gouvernement, mais le plus important c’est la parité dans le couple  », lâche un quinquagénaire au look réac. Pour lui, un couple gay ça ne passe pas.

Court instant de poésie, qui n’effacera pas le sourire des manifestants : deux déséquilibrés s’invitent dans le cortège pour lancer des «  tuez les pédés  ».

Le Champ-de-Mars se remplit, dimanche 13 janvier à 15 h - Photo : Nina Bontemps-Terry

Arrivés sur le Champ-de-Mars, les manifestants se retrouvent devant un podium, dont le fond représente le fronton d’une mairie. Si cette scène n’est pas immense, les moyens mobilisés sont toujours aussi conséquents. Sono puissante, animateur et ambiance calqués sur le style d’une émission racoleuse de prime-time télévisé, pluies de paillettes roses et dorées, musique commerciale, l’ensemble (finalement) assez vulgaire tranche avec les looks bon-chic bon-genre très classiques de la grande majorité du public.

Pop-star papiste

Chaque association du collectif des organisateurs est acclamée par la foule. Gros succès pour les anti-avortements d’Alliance Vita et la Fondation Jérôme-Lejeune, ou d’autres mouvements aux noms alléchants tels que Fils de France, la Fédération nationale de la médaille de la famille française et, bien sûr, les associations familiales catholiques ou protestantes. Après quelques prises de parole, l’entrée en scène de Frigide Barjot ressemble à celle d’une pop-star de supermarché. Sur une musique hard-rock, l’animateur annonce son arrivée et trois jeunes gens s’avancent, s’écartant tout à coup pour laisser passer l’égérie papiste. D’autres lui tiennent une traîne blanche façon robe de mariée.

Frigide Barjot entame alors quelques pas de danse puis enlève son sweat-shirt qu’elle jette dans la foule. On ressent une brève impression de malaise dans les rangs des familles de province, les parents surveillant leur progéniture du coin de l’œil devant un tel spectacle. Après avoir cité à plusieurs reprises son mari, l’ancienne plume de Charles Pasqua, Basile de Koch, l’admiratrice de Benoît XVI accueille une petite fille sans doute âgée de quatre ou cinq ans pour lui faire dire… qu’elle a bien « un papa et une maman » (scoop).

Puis, Frigide Barjot se lance dans la lecture d’une lettre des organisateurs à François Hollande, ânnonant les sempiternels et délirants dangers-pour-les-enfants-et-pour-la-famille que ferait courir le projet de loi Taubira. Enfin, vient le clou du spectacle : l’annonce du nombre de participants à la manifestation, en faisant patienter quelques minutes encore le public alors que les « volontaires » du service d’ordre crient à tue-tête : « le million, le million ! » Le chiffre – sans aucun doute gonflé – apparaît sur l’écran géant, à gauche du podium : 800 000. En quittant cette petite fête, vers 17 h 30, on remarque que la foule est de plus en plus clairsemée au bout de cinquante mètres. Quelques groupes épars de départements de province cherchent déjà à retrouver le chemin de leur car, un peu perdus dans les beaux quartiers du septième arrondissement de Paris.

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