La France au-delà des apparences

Emmanuel Todd et Hervé Le Bras portent un regard original sur notre société.

Marion Genevois  • 25 avril 2013 abonné·es

«L a France ne va pas si mal ! » C’est l’étonnant diagnostic porté par Emmanuel Todd et Hervé Le Bras dans le Mystère français, véritable radiographie du pays. En dépit des apparences, la formule à l’emporte-pièce n’est pas un propos de comptoir mais le résultat d’une passionnante étude démographique. Pour en arriver à cette conclusion, les deux démographes ont eu recours à une centaine de cartes réalisées à l’aide d’une nouvelle méthode pour scruter trente années d’évolutions du paysage social et culturel. Niveau d’éducation, fécondité, émancipation des femmes, richesse, vote PS, UMP ou Front national : autant de caractéristiques passées au crible anthropologique. En découle un inventaire de « l’immense acquis humain des années 1980 à 2010 » qui permet aux auteurs d’arriver à une évaluation plutôt positive. C’est que, loin de l’ambiance « économiciste », leur ouvrage propose une vision qui admet « un primat des mentalités » .

En 1981 déjà, Todd et Le Bras avaient fait sensation en montrant que, malgré une tendance à l’homogénéisation, la France conservait une grande diversité anthropologique. Trente ans plus tard, ils persistent et signent. En étudiant les transformations sociales, les auteurs confirment la diversité des systèmes de mœurs dans l’Hexagone, déjà mises en évidence à l’époque. Mais un élément nouveau apparaît ici : l’action de systèmes anthropologiques et religieux que l’on croyait disparus a été réactivée, voire renforcée, par la crise. Mieux encore, le changement social lui-même a été guidé par ces systèmes de mœurs anciens. Ainsi, les régions de tradition catholique connaissent un taux élevé de niveau d’éducation. Tout cela, nous disent les auteurs, s’explique par « l’action souterraine mais puissante de facteurs sociaux oubliés qui agissent sur nos comportements ». Après avoir montré comment la révolution mentale s’est déployée dans l’espace, puis décrit les fonds anthropologiques qui définissent « une mémoire des lieux », les démographes proposent une analyse politique : le retour de la gauche au pouvoir résulte paradoxalement d’une « droitisation générale du système politique français ». Un mouvement accentué, selon les auteurs, par deux facteurs sociaux : l’égoïsme de la richesse acquise et la peur de la chute sociale dans la pyramide éducative, génératrice d’anxiété. Autrement dit, la droite est allée si loin qu’elle a provoqué des réactions contraires qui relèvent davantage de réflexes culturels que politiques. Sans nier une poussée des extrêmes ni, bien sûr, la crise, les auteurs livrent un diagnostic plutôt apaisant : « Si les structures anthropologiques restent, les déterminations économiques, elles, passent. »

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