« La Venus à la fourrure » de R. Polanski ; « Michael Kohlhaas » d’A. des Pallières ; « Only lovers left alive » de J. Jarmusch ; Palmarès idéal

Christophe Kantcheff  • 26 mai 2013
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« La Venus à la fourrure » de R. Polanski ; « Michael Kohlhaas » d’A. des Pallières ; « Only lovers left alive » de J. Jarmusch ; Palmarès idéal

Illustration - « La Venus à la fourrure » de R. Polanski ; « Michael Kohlhaas » d'A. des Pallières ; « Only lovers left alive » de J. Jarmusch ; Palmarès idéal

La compétition se clôt sur la Venus à la fourrure , de Roman Polanski (1), ce qui n’est pas la meilleure fin possible. L’homme a évidemment du talent, mais ne semble plus aujourd’hui en mesure de le déployer (son dernier grand film, le Pianiste , Palme d’or à Cannes, date déjà de 2002). Après avoir porté à l’écran une œuvre de la demi-habile Yasmina Reza ( Carnage ), Roman Polanski revisite la Venus à la fourrure . Il imagine qu’un metteur en scène (Mathieu Amalric, toujours remarquable), adaptant pour la scène la celèbre nouvelle de Leopold Sacher-Masoch, à la recherche de son actrice, procède à une dernière audition. Celle d’une candidate qui arrive en retard, inculte et d’apparence vulgaire (Emmanuelle Seigner). Ce qui est prévisible advient : non seulement celle-ci se révèle formidable dans le rôle, mais au cours de la lecture, elle va prendre l’ascendant sur le metteur en scène. Plus attendu encore : le parallèle avec le sadisme des metteurs en scène vis-à-vis des actrices. Si la première demi-heure est assez drôle (bien qu’Emmanuelle Seigner en fasse un peu trop), la Venus à la fourrure s’enlise dans ses effets de séduction du spectateur. Et à force d’être un peu trop malin, il finit par lasser.

Michael Kohlhaas

Précédemment, deux films de la compétition, d’excellente tenue quant à eux, se sont distingués entre autre par leur dimension politique. Pour l’un, il ne s’agit pas d’une surprise : Michael Kohlhaas , signé par un cinéaste, Arnaud des Pallières, dont la filmographie est traversée par cette préoccupation (par exemple : Drancy avenir ou Disneyland, mon vieux pays natal ). Précédé d’une réputation (non exagérée) de radicalité, Arnaud des Pallières a été (étonnamment mais heureusement) sélectionné à Cannes pour une adaptation littéraire (Kleist) et un film d’époque. Une question, dès lors, se posait : jusqu’où le cinéaste avait placé le « curseur » d’une certaine ouverture, d’une plus grande accessibilité de son cinéma ?

Illustration - « La Venus à la fourrure » de R. Polanski ; « Michael Kohlhaas » d'A. des Pallières ; « Only lovers left alive » de J. Jarmusch ; Palmarès idéal

Cette question se retrouve indirectement au cœur de Michael Kohlhaas . Parce que des hommes du seigneur local lui ont « emprunté » deux superbes chevaux et les lui ont rendus dans un état lamentable, en même temps que ceux-là mêmes ont blessé l’un de ses fidèles compagnons, Kohlhaas a recours au droit. Mais il n’obtient pas gain de cause, en raison d’une collusion entre un juge et l’aristocrate. Kohlhaas persévère dans sa demande de justice, y perd sa femme, et déclare la guerre au seigneur.

Trois phrases, prononcées par trois personnages différents, résument l’enjeu du film. Un théologien (Denis Lavant) reproche à Kohlhaas son intransigeance quand il va jusqu’à tuer un de ses hommes qui a pillé une ferme. « C’est cela ton sens de la justice ? » , lui demande-t-il. Kohlhaas répond : « J’ai des principes » . Quant à la princesse d’Angoulême (Roxanne Duran), sœur du roi, prête à intervenir en sa faveur, elle lui dit : « vous êtes un fanatique » . Ces mots renvoient à des interrogations : qu’est-ce qu’un compromis ? Que signifie négocier ? Qu’est-ce qu’un idéal ? Quand renonce-t-on à soi-même ? Autant de réflexions induites par ce film, sans que celui-ci ne soit conceptuel ni abstrait pour autant.

Au contraire, Michael Kohlhaas subjugue par sa beauté formelle, par le lyrisme des paysages pliés par le vent, par sa lumière minérale, ses ombres glissantes et tournoyantes. Cela, sans jamais tomber dans l’académisme. Le seul réel problème de ce film, mais qui ne mérite certainement pas le désolant accueil que lui a réservé une grande partie de la presse (trop fatiguée ?) : le choix du comédien danois incarnant Kohlhaas, Mads Mikkelsen. Malgré une plastique superbe, sa prononciation parfois peu compréhensible et une placidité trop appuyée lui font perdre une part du charisme que le personnage exige.

Only lovers left alive

L’autre film, dont la dimension politique est plus inattendue : Only lovers left alive , le nouveau Jim Jarmush. Au début, cela ressemble à l’une de ces blagues dont le réalisateur de Down by law raffole : un couple très amoureux, vivant dans des endroits très éloignés, Adam (Tom Hiddleston), à Detroit et Eve (Tilda Swinton, d’une classe inouïe), à Tanger, s’avèrent être des vampires. Mais la blague se transforme rapidement en film, et pas n’importe lequel. Sa profonde mélancolie tient au triste état de notre monde. Lui, rocker psychédélique, elle, femme mystérieuse, sont déprimés ici par les effets du capitalisme (les usines automobiles de Detroit tombées en déshérence), ou rendus fragiles par de nouveaux dangers (ils vivent de sang frais mais périssent s’ils absorbent du sang contaminé).

Pour autant, Only lovers left alive est l’un des films les plus drôles vus à Cannes cette année. Le romantisme suranné de ce couple délicat, l’intrusion comique d’une sœur d’Eve, vampire olé-olé (Mia Wasikowska), les gags transhistoriques avec notamment un vampire-vieux sage qui ne serait autre que le poète du XVIème siècle Christopher Marlowe (John Hurt), sont parmi les ingrédients humoristiques de ce film où la musique occupe également une grande place, comme désormais dans la vie de Jim Jarmush, qui donne régulièrement des concerts, notamment avec Josef van Wissem.

Palmarès idéal

Voici venu le temps des récompenses et des bilans. Je m’en tiendrai pour le moment à mon palmarès idéal. Pas si facile à établir cette année. Beaucoup de bons films, mais aucun ne s’impose de manière indiscutable, comme ce fut le cas d’ Oncle Boonmee , d’Apichatpong Weerasethakul, en 2010, ou Holy Motors , de Leos Carax, l’an dernier.

Palme d’or : A Touch of Sin , de Jia Zhang-Ke.
Mais Steven Spielberg, le président du jury, optera peut-être pour un film plus doux, plus « familial » comme Tel père tel fils , de Kore-Eda Hirokazu. Ou pour la Vie d’Adèle , d’Abdellatif Kechiche, plébiscité par la presse.

Grand Prix : La Vie d’Adèle , d’Abdellatif Kechiche.

Prix d’interprétation féminine : Adèle Exarchopoulos et Lea Seydoux ( la Vie d’Adèle , d’Abdellatif Kechiche)

Prix d’interprétation masculine : Oscar Isaac ( Inside Llewyn Davis , des frères Coen). Mais on voit mal comment ce prix échapperait à Michael Douglas ( Ma vie avec Liberace , de Steven Soderbergh)

Prix de la mise en scène : Michael Kohlhaas , d’Arnaud des Pallières.

Prix du scénario : Only lovers left alive , de Jim Jarmusch

Prix du jury : Tel père tel fils , de Kore-Eda Hirokazu.

Reste qu’il est à craindre que figureront dans le véritable palmarès : le Passé , d’Asghar Farhadi, la Vénus à la fourrure , de Roman Polanski ou la Grande Bellezza , de Paolo Sorrentino. Si tel était le cas, on se consolera en apprenant qu’outre le prix de la mise en scène de la section Un Certain regard, l’Inconnu du lac , d’Alain Guiraudie, vient de recevoir la Queer Palm. Total respect !

(1) qui a par ailleurs fait des déclarations sexistes tonitruantes, après celles de François Ozon. Extraits : « La pilule a masculinisé les femmes » ; « l’égalité des sexes (…) chasse le romantisme de nos vies »…

Temps de lecture : 7 minutes
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