Les émergents vacillent

Les bulles immobilières menacent d’exploser en Chine ou au Brésil.

Thomas Coutrot  • 12 septembre 2013 abonné·es

Les pays émergents ont la gueule de bois. Depuis juillet, ils sont touchés par d’importantes turbulences financières. La fuite des capitaux, la chute des bourses et celle des monnaies ont été déclenchées par les annonces de la FED, la banque centrale états-unienne, qui a décidé de ralentir le rythme de sa création monétaire effrénée. Les capitaux américains, anticipant la remontée des taux d’intérêt, reviennent à Wall Street. Le cours du Dow Jones a dépassé le record historique atteint au moment de la bulle de 2006.

La tornade financière, dont l’épicentre avait migré des États-Unis en 2007-2008 vers la zone euro en 2010-2011, se déplace vers le Sud et l’Est. Mais la FED n’est pas seule coupable. La croissance des émergents reposait sur des fondements précaires. Les bulles immobilières menacent d’exploser en Chine ou au Brésil, comme il y a quelques années aux État-Unis, en Grande-Bretagne et en Espagne. Après avoir flambé depuis des années, le prix du mètre carré a déjà commencé à chuter à São Paulo, même s’il poursuit pour l’heure son envol à Pékin (+ 23 % en un an).

Plus fondamentalement, les manifestations géantes au Brésil en juin dernier ont montré les limites des modèles à l’œuvre. Tirée par les exportations de matières premières et agricoles vers la Chine, l’économie brésilienne a progressé, y compris les salaires. Mais son modèle de croissance est une impasse : prédateur au plan écologique (OGM, monoculture du soja et de la canne à sucre, extractivisme), il développe massivement la spéculation immobilière et l’automobile individuelle à crédit, faisant des grandes villes des enfers de pollution et d’embouteillages. Certes, les bidonvilles en tôle ont laissé la place à des maisonnettes plus décentes, mais les immeubles sécurisés de luxe ont poussé comme des champignons, manifestant aux yeux de tous une situation d’apartheid social maintenue. Les services publics d’éducation et de santé restent misérables alors que les écoles et cliniques privées prospèrent à des prix exorbitants.

La gauche brésilienne, dominée par le PT de Lula, au pouvoir depuis dix ans, a perdu sa capacité d’innovation. Le PT s’est intégré dans un système politique clientéliste et corrompu qu’il a renoncé à réformer. Même l’extrême gauche conserve une vision productiviste du progrès, applaudissant par exemple l’exploitation des énormes gisements de pétrole non conventionnel en eaux profondes, découverts au large de Rio de Janeiro.

Mais le Brésil – et le constat est similaire pour la Chine – se heurte aux contradictions du modèle capitaliste-productiviste : inégalités sociales explosives, grave crise écologique urbaine et rurale, déni quotidien des aspirations démocratiques des populations. La crise financière qui s’annonce pourrait déclencher des séismes politiques, où les aspirations populaires à une démocratie réelle joueront un rôle décisif.

Chaque semaine, nous donnons la parole à des économistes hétérodoxes dont nous partageons les constats… et les combats. Parce que, croyez-le ou non, d’autres politiques économiques sont possibles.

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