Ce que nous dit Leonarda

Quels méandres politiciens ont bien pu conduire François Hollande à une intervention aussi inopportune et à une décision aussi dépourvue d’empathie ?

Denis Sieffert  • 24 octobre 2013 abonné·es

La politique est un métier anxiogène. On ne sait jamais quelle catastrophe vous attend. Même quand il s’agit des retombées de vos propres décisions. Voyez cette affaire Leonarda. Au fond, elle n’est que la conséquence du choix du gouvernement de marcher dans les pas de Nicolas Sarkozy en matière d’immigration. Pourtant, elle n’aurait pas existé si, le 9 octobre, les policiers avaient trouvé la jeune fille à son domicile et l’avaient embarquée avec le reste de sa famille à 6 heures du matin, comme prévu. Le destin de l’adolescente n’aurait pas été plus heureux pour autant, mais on aurait ignoré son sort, comme celui de tant d’autres. Le hasard a fait les choses différemment. Leonarda était en sortie scolaire et les policiers sont allés la cueillir à la descente du bus, devant ses camarades. Moins sans doute par « manque de discernement », comme l’a prétendu François Hollande, que sous la pression de leur hiérarchie.

Émotion légitime et indignation. Une affaire éclatait qui nous renvoyait tout à la fois au dossier de l’immigration, à la question rom, à la pagaille gouvernementale, aux vanités des hommes de pouvoir, aux méthodes et à la personnalité de notre Président. Non seulement la jeune fille est devenue un symbole, mais son histoire a agi comme un révélateur de ce qu’il faut bien appeler la crise morale de la gauche. La fonction symbolique a pourtant été contestée quand les projecteurs se sont tournés vers le père. Menteur, tricheur, violent avec ses enfants, comme s’il était tout droit sorti d’ Affreux, sales et méchants, le film d’Ettore Scola, ce personnage (trop) haut en couleur pourrissait le dossier. C’est en tout cas ce que semblaient nous dire dans la presse quelques observateurs bien intentionnés. Sans que l’on voit clairement le rapport avec le problème posé. On en vint donc à cette question médiatique : le cas Leonarda est-il défendable ? N’est-il pas trop marginal ? Or, c’est précisément en raison de cette marginalité que l’exemple de cette famille rom, venue du Kosovo, passée par l’Italie et échouée en France, est parfaitement édifiant.

Qui peut croire en effet que ces gens aux abois, refoulés de toutes parts, ont les moyens d’être des enfants de chœur ? Que ces damnés de la terre ne mentent jamais, et qu’ils franchissent les frontières avec des papiers parfaitement en règle ? Et sont d’une culture exquise, la nôtre ? S’il y a d’ailleurs un seul aspect comique dans cette affaire, c’est la promotion médiatique de ce père, peu avenant en effet, mais invité par une forêt de micros et de caméras à réagir en direct, comme un homme politique de premier plan, aux propos de notre président de la République. Deux mondes se croisent quand tout était fait pour qu’ils ne se croisent jamais. La statistique prend forme humaine. Oui, la famille Dibrani gagnait à être connue… Mais l’affaire est aussi un terrible révélateur politique. Quels méandres politiciens ont bien pu conduire François Hollande – qui n’est évidemment pas « inhumain » – à une intervention aussi inopportune et à une décision aussi dépourvue d’empathie ? En autorisant Leonarda à revenir seule en France, sans ses parents, il a paru moins préoccupé par le sort de cette gamine de 15 ans que par de savants équilibres au sein du Parti socialiste, et entre son ministre de l’Intérieur et son Premier ministre. Décidément, François Hollande ressemblera toujours au juge de la fable de La Fontaine « L’huître et les plaideurs ». On se souvient que pour mettre fin à la querelle de deux hommes qui se disputaient une huître, le juge a gobé le mollusque et remis une écaille à chaque plaideur, ne faisant que des mécontents. En quelques minutes d’une intervention télévisée incongrue, le président de la République n’a fait que des mécontents. À commencer par Leonarda, bien sûr, qui ne veut pas être séparée de ses parents – mais on a bien compris que ce n’était pas le souci premier de François Hollande. Il n’a pas donné entièrement satisfaction à Manuel Valls, lequel n’en a cure tant que les sondages confortent le créneau qu’il s’est choisi sur le « marché » de la « fermeté » et de « l’ordre ». L’allocution présidentielle a déplu à nombre d’élus socialistes, les uns sincères, les autres soucieux de redorer leur blason à quelques mois des municipales, ou désireux de faire trébucher l’insupportable Manuel Valls. François Hollande n’a pas rassuré non plus les lycéens qui ont commencé à manifester leur solidarité à Leonarda.

C’est là peut-être ce que l’affaire révèle de plus redoutable pour le gouvernement. La « gauche morale » crie son indignation. La politique de Manuel Valls ressemble trop à celle de Nicolas Sarkozy et les jeunes ne voient pas la différence. Celle-ci n’est pas très visible en effet. En témoigne une course endiablée aux chiffres. Le ministre de l’Intérieur n’est jamais plus fier que lorsqu’il peut aligner des « performances » supérieures à celles de ses prédécesseurs Brice Hortefeux et Claude Guéant. En matière d’immigration, ce gouvernement ne se différencie guère du précédent. C’est tout aussi vrai pour les questions économiques et sociales. La réforme des retraites en est une terrible illustration. L’ennui, c’est qu’entre les deux il y a eu des élections, et que les Français ont voté en majorité pour le changement. Un changement qu’ils ne voient pas. L’affaire Leonarda nous dit cela aussi.

Une analyse au cordeau, et toujours pédagogique, des grandes questions internationales et politiques qui font l’actualité.

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