Pasolini : Toujours vivant

Une exposition à la Cinémathèque présente le parcours de Pasolini, sans le figer ni l’édulcorer.

Christophe Kantcheff  • 24 octobre 2013 abonné·es

Dans le livre d’Emanuele Trevi, un soir de 1994 où les anciens amis de Pasolini sont réunis chez Laura Betti pour regarder à la télévision le résultat des élections qui verront le triomphe de Berlusconi, le fantôme du poète apparaît. « Quand je sentais la présence du spectre, écrit Trevi, je l’habillais toujours en imagination, avec la chemise en toile denim des photos de Dino Pedriali. » Ces photos magnifiques d’un Pasolini solitaire peu de temps avant sa mort, on peut les voir à l’exposition que présente la Cinémathèque française, Pasolini Roma, en coproduction avec trois autres institutions culturelles européennes. Une rétrospective de ses films l’accompagne.

Dans la prolongation des « visions » d’Emanuele Trevi, la présence du poète semble vibrer dans les travées de l’exposition, qui n’a rien d’un mausolée. Découpée en cinq périodes, de son arrivée avec sa mère à Rome en 1949 (avec quelques références à sa jeunesse frioulane) à son assassinat en 1975, elle suit chronologiquement l’évolution du poète, plus particulièrement axée sur son activité cinématographique, à travers ses rapports avec la ville de Rome. Pasolini a beaucoup filmé ses faubourgs (dans Accattone, Mama Roma, etc.), les a arpentés chaque nuit, en quête de l’assouvissement de ses sens, y a aussi habité lorsqu’il était dans le plus grand dénuement.

Des cartes de l’époque indiquant les lieux pasoliniens jalonnent le parcours, dont certains sont montrés sur de grands écrans tels qu’ils sont aujourd’hui. Il s’agit d’une Rome intime, ou personnage de ses œuvres, mais aussi celle qui n’a cessé de le persécuter en raison de sa liberté de penser et de parole. D’où les trente-trois procès qui lui ont été intentés, et l’humiliation qu’ils signifient pour un artiste, auxquels une salle est consacrée. « Nous n’avons pas voulu figer Pasolini », a expliqué l’un des commissaires, Alain Bergala, lors d’une conférence de presse. Mieux encore : il n’est pas ici édulcoré. Le Pasolini de cette exposition reste un artiste inconfortable. Il garde sa puissance de remise en cause, qu’il appliquait d’abord à lui-même. Révolté, révoltant, Pasolini est à prendre en bloc et dans toutes ses dimensions, y compris contradictoires. C’est ainsi que le visiteur de Pasolini Roma le rencontrera.

Culture
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