Une sacrée vacherie

La ferme usine : un cas d’école des grands projets nuisibles.

Jean Gadrey  • 3 octobre 2013 abonné·es

Bel exemple d’horreur agro-industrielle recouverte de peinture verte malodorante : le chantier de la « ferme usine des 1 000 vaches » près d’Abbeville [^2], dans la Somme, est un cas d’école des grands projets nuisibles selon tous les critères. Sauf peut-être celui des intérêts financiers du propriétaire, un entrepreneur de BTP, auxquels on peut ajouter l’intérêt politique à courte vue de certains barons locaux. Ce projet ne serait économiquement viable qu’en « exploitant » les aides publiques, en particulier le tarif de rachat subventionné de l’électricité produite par méthanisation, et l’attribution de marchés publics de collecte des déchets verts. Stéphane Le Foll, le ministre de l’Agriculture, parle beaucoup d’agroécologie, mais ses subventions vont à l’agro-industrie. Santé sacrifiée, environnement détruit, impact très négatif sur l’emploi agricole : même le méthaniseur, la caution « verte », est une aberration environnementale… subventionnée.

La santé d’abord, celle des humains et celle des animaux. Cette concentration animale favorisera épidémies, abattages en masse, mutation incontrôlable de virus, utilisation d’antibiotiques. Les bêtes, emprisonnées à l’année, au régime alimentaire modifié pour produire au maximum, donneront un lait et une viande industriels de piètre qualité. Pour les nourrir artificiellement, au lieu des pâtures favorables au bon équilibre général, il faudra des aliments importés (sans parler des OGM) ou poussant avec engrais chimiques et pesticides. Le méthaniseur serait exempté des normes de sécurité industrielle, au motif qu’il serait « agricole » ! Il recevra des intrants multiples récoltés dans un rayon de 110 km. Il faudra 2 700 hectares pour épandre les 40 000 tonnes annuelles de boues résiduelles (le « digestat » du méthaniseur), avec des risques d’air vicié, de terre polluée, rendant les cultures impropres à la consommation, d’infiltrations dans les nappes phréatiques, voire d’algues vertes en baie de Somme. Les véhicules lents, lourds, boueux, dans une circulation déjà dense, multiplieront les risques d’accident. Les riverains subiront le va-et-vient et payeront pour la réfection des chaussées dégradées. Certains épandages allant jusqu’à 40 km autour de la ferme, le bilan carbone (absent du projet !) est forcément mauvais.

L’emploi enfin. Cette étable industrielle accélérera la disparition des exploitations actuelles. L’agriculture française, c’est quatre « Florange » par mois : un plan social permanent. Or, l’industriel, qui compte reproduire ailleurs et vendre à l’étranger ce prototype, rachète actuellement à prix d’or beaucoup de terres, empêchant les jeunes agriculteurs de s’installer. Il fait miroiter la création… d’une dizaine d’emplois ! Comme l’écrit la Confédération paysanne, il faut choisir : « 42 000 fermes laitières et 100 000 emplois aujourd’hui, ou 3 000 usines et 30 000 salariés demain ? ». L’industrialisation de l’agriculture fait disparaître des emplois au détriment des citoyens et des contribuables, au détriment de la santé publique, de l’environnement et de la démocratie. Car j’en fais le pari : si une « conférence de citoyens » était organisée, avec tous les arguments en présence, ce projet insensé serait balayé. 

[^2]: L’association Novissen a été créée il y a deux ans pour s’opposer à ce projet, et le fait que les travaux aient commencé n’y change rien. Voir leur site : www.novissen.com

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