Fiscalité : un si timide espoir…

Si la « remise à plat » ne veut rien dire, la formule produit tout de même un effet subliminal. Elle fait naître une attente.

Denis Sieffert  • 28 novembre 2013 abonné·es

Les mots ne sont évidemment pas indifférents. Avec sa « remise à plat fiscale », Jean-Marc Ayrault ne nous dit pas grand-chose de ses intentions. Au point que l’on peut même se demander s’il a vraiment des intentions. Les raisons d’en douter sont nombreuses. Un projet de « remise à plat » de notre système fiscal, dont le ministre de l’Économie et des Finances et son collègue du Budget n’avaient pas même entendu parler, et qu’ils ont découvert un beau matin (on exagère à peine !) en lisant les Échos, avouez que cela ne fait pas très sérieux. Sans compter que l’idée vient d’un Premier ministre en sursis, ne devant sa survie qu’à la fonction sacrificielle qui lui est dévolue dans l’attente du prochain désastre électoral. Non, décidément, le coup ressemble à s’y méprendre au dernier spasme du condamné.

Bien sûr, tactiquement, c’est bien joué. Notre saint Sébastien, transpercé de flèches, devrait au moins neutraliser ses adversaires pendant quelques semaines ou quelques mois. Puisque nous voilà partis dans un processus de consultations qui devrait durer. Mais on en pressent déjà l’issue. Un grand joueur de football anglais disait que le football se joue à onze et qu’à la fin c’est toujours les Allemands qui gagnent. Avec le tandem Hollande-Ayrault, les négociations, c’est un peu la même chose : à la fin, c’est toujours le Medef qui gagne. On peut le redouter, d’autant que la pression qui fait réagir le Premier ministre vient du côté patronal et des divers lobbies, bonnets rouges et autres, qui soufflent sur les braises d’une fronde anti-impôts. C’est le fameux « ras-le-bol fiscal » auquel le ministre de l’Économie a, hélas, donné un label officiel. Notre incrédulité est donc immense. Notre crainte aussi. Car Jean-Marc Ayrault et François Hollande – qu’il a, semble-t-il, entraîné dans cette affaire – manient de la dynamite. Si la « remise à plat » ne veut rien dire, la formule produit tout de même un effet subliminal. Elle fait naître une attente, et même – n’ayons pas peur des mots – un espoir. Et sur un sujet politique qui conditionne tous les autres. Les attaques contre l’impôt ne sont-elles pas au cœur même du projet libéral ? Ne conduisent-elles pas tout droit à la destruction des services publics et à l’appropriation privée de ce qui devrait faire partie du patrimoine commun ? Un gouvernement de gauche se doit donc d’abord de mener ce combat idéologique contre les tenants du libéralisme. Il ne devrait rien céder au poujadisme ambiant.

Ce n’est pas, hélas, ce qu’il nous a été donné de voir au cours des dernières semaines. Mais l’expression « remise à plat » est inquiétante pour d’autres raisons. L’impôt a deux fonctions. Il est censé remplir les caisses de l’État. Ce qui n’est déjà pas si mal. Mais il a aussi une fonction redistributive. Il est là pour corriger les injustices de notre société, et tempérer les excès de la loi du marché. On peut facilement « oublier » cette fonction. Si la « remise à plat » ne nous dit rien à ce sujet, la confirmation d’une prochaine augmentation de la TVA délivre un message évidemment négatif. Pour remplir la première mission, la TVA, qui l’an dernier a rapporté 133 milliards à l’État, fait très bien l’affaire. Mais il est le plus injuste des prélèvements. Celui qui prend plus aux pauvres qu’aux riches. La suite est donc incertaine. MM. Hollande et Ayrault oseront-ils renforcer les impôts directs ? Oseront-ils élargir l’assiette des revenus imposables en cessant d’exonérer les revenus du capital ? Oseront-ils intensifier la guerre à l’évasion fiscale ? En fait, pour mener à bien une véritable « réforme fiscale » juste, lisible, franche, il faudrait que nos socialistes reviennent à une autre philosophie politique. Qu’ils cessent de faire croire aux Français qu’ils sont tous dans la même galère. Qu’ils admettent l’existence d’antagonismes sociaux entre des catégories de citoyens, mais aussi entre les PME et les mastodontes du CAC 40. Le reconnaître n’est pas faire rouler des têtes dans la sciure. C’est bannir, par exemple, cette insupportable formule, aussi niaise qu’insidieuse, du « gagnant-gagnant ».

Qui dit « redistribution » dit des « gagnants » et des « perdants ». Il faut l’assumer. L’économiste Thomas Piketty suggère un seuil de bascule à 7 000 euros mensuels. Les impôts des 3 % de nos concitoyens qui gagnent plus augmenteraient ; ceux des 97 % qui gagnent moins baisseraient ou resteraient constants… Les mieux pourvus devraient contribuer un peu plus au financement des services publics et au remboursement de la dette. Mais que les âmes sensibles se rassurent : ces perdants-là ne frapperaient pas pour autant aux portes des Restos du cœur. Enfin, l’affaire a un autre enjeu. S’il témoignait d’audace, s’il finissait par prendre parti au terme d’une consultation qui va évidemment confirmer les désaccords entre syndicats et patronat, le gouvernement réinventerait un peu de politique. Il montrerait que ceux que nous avons élus ont encore du pouvoir. Et de la volonté. S’il fait la démonstration inverse, le préjudice politique sera considérable.

Une analyse au cordeau, et toujours pédagogique, des grandes questions internationales et politiques qui font l’actualité.

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