Valls-Dieudonné : Une décision à risque

Contrairement à ce que dit le ministre, la République française n’est pas « victorieuse » en ayant interdit le spectacle de Dieudonné.

Christophe Kantcheff  • 16 janvier 2014 abonné·es

Imaginons ce qui se serait passé si, le 9 janvier, le Conseil d’État avait confirmé la décision du tribunal administratif de Nantes, qui avait, quelques heures plus tôt, autorisé la tenue du spectacle de Dieudonné. Manuel Valls aurait pris deux claques successives et son action serait, dans cette affaire, sérieusement discréditée. Était-ce possible ? Comme l’a dit Philippe Bilger, ancien avocat général, en une phrase élégamment allusive, « la décision du Conseil d’État est venue opportunément couronner une journée que le pouvoir politique ne pouvait pas perdre » (« C dans l’air », France 5, 10 janvier). De même, on sait désormais que le directeur adjoint du cabinet de Manuel Valls, en charge de ce dossier, est lui-même issu du Conseil d’État.

Cela dit, et quel que soit le degré d’indépendance qui a présidé à cette décision, celle-ci crée une jurisprudence de rupture vis-à-vis de notre tradition juridique, qui a pour règle de favoriser la liberté d’expression. L’interdiction administrative préalable est d’autant plus attentatoire aux libertés publiques qu’elle se fonde, dans la décision du Conseil d’État, sur « l’atteinte à la dignité humaine », reprenant ainsi un des arguments de la circulaire envoyée aux préfets le 6 janvier par le ministère de l’Intérieur. Comme l’a précisé Danièle Lochak, professeure émérite de droit public à l’université de Paris-Ouest-Nanterre-La Défense, « on quitte [dès lors] le terrain des troubles matériels pour s’aventurer sur celui, beaucoup plus mouvant, du trouble dans les consciences » (lemonde.fr, 7 janvier). C’est une boîte de Pandore qui est ainsi ouverte, car « l’atteinte à la dignité humaine » est systématiquement avancée par les groupes de pression en faveur de la censure des œuvres, comme les catholiques intégristes. Que leur répondra-t-on désormais ? La République française, « victorieuse » selon Manuel Valls, a pris un autre risque avec cette décision du Conseil d’État : celle de se voir condamner par la Cour européenne des droits de l’homme, au cas très probable où les avocats de Dieudonné se tourneraient vers elle.

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