« À tort ou à raison »

Le Monde juge que « l’opinion » pourrait avoir « raison » de considérer qu’il y a trop d’étrangers.

Sébastien Fontenelle  • 20 février 2014 abonné·es

L’autre dimanche, donc, les Suisses ont vot(ationn)é contre ce qu’ils appellent « l’immigration de masse ». Immédiatement, le Nouvel Observateur a tiré de ce happening la conclusion que : « Non, les Suisses ne sont pas devenus xénophobes. » (Puisqu’en effet, la xénophobie est, nous dit le dictionnaire, une hostilité à ce qui vient de l’étranger – alors que les Suisses ont exprimé, dans les urnes, une hostilité à ce qui venait de l’étranger : ça serait bien de pas tout confondre, steuplaît, ou sinon, le Nouvel Observateur va peiner à faire ton éducation.)

L’éditorialiste anonyme du Monde a de son côté considéré, dans une démonstration qui vaut d’être citée un peu longuement, que « ce vote […] traduit aussi une réalité à laquelle n’échappe aucun pays occidental », et qui est que : « À tort ou à raison [^2], une bonne partie de l’opinion est gagnée par la perception d’une immigration incontrôlée qui met à mal les populations les plus fragiles de nos sociétés. » Puis de conclure : « Il ne faut pas laisser la réflexion sur ce sujet aux seuls démagogues des partis protestataires. »

Donc, c’est intéressant, et cela marque un tournant, dans l’histoire de la dignité journalistique : le Monde juge – et dit, nettement – que « l’opinion » – qui a ceci de plaisant qu’on peut lui faire dire absolument n’importe quoi sans trop redouter qu’elle rebèque – pourrait avoir « raison » de considérer, à l’unisson des Pen ( father & daughter ), qu’il y a trop d’immigré(e)s dans ses entours, mâme Dupont, n’est p’us chez nous, vivement qu’on les boute. (Au passage, t’auras noté, le Monde décrète que les partis qui propagent cette hideuse menterie ne sont pas tant xénophobes, que « protestataires » – et cela aussi est fort commode, qui permet de suggérer, au passage, que la protestation contre les iniquités du monde range les formations qui la portent dans le camp de la démagogie : j’espère que tu retiendras la leçon, Jean-Luc Mélenchon.)

Christophe Barbier, directeur de l’hebdomadaire l’Express, a estimé, lui, que leur votation dominicale n’honorait que peu les Helvètes – car il est, contrairement à ce que tu pourrais supputer sur la seule foi des couvertures discrètement islamophobes qu’il fait parfois confectionner pour son magazine, profondément pétri d’un humanisme de niveau 9 sur l’échelle de Jean-François Revel : il est de l’avis, rassurant, qu’il convient de « protéger les immigrés eux-mêmes contre l’intolérance ». Et il propose, pour ce faire, une solution pleine du bon gros bon sens bien d’cheux nous qui a fait naguère l’alpha et l’oméga du sarkozysme régimaire : il faut, explique-t-il, « moins d’immigration »

C’est à ce moment-là qu’un sondage a relevé qu’un tiers des Françai(se)s se reconnaissaient peu ou prou dans la propagande de la Pen, et que le Monde, pris de conjecture(s), s’est demandé d’où ça pouvait bien venir : excellente question, dont la réponse se trouve – au moins pour partie –, je crois, dans la prose décomplexée de l’éditocratie dominante.

[^2]: C’est moi qui souligne.

Publié dans
De bonne humeur

Sébastien Fontenelle est un garçon plein d’entrain, adepte de la nuance et du compromis. Enfin ça, c’est les jours pairs.

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