France Télé : médaille d’or de la médiocrité

Au-delà de ses audiences, France Télé s’est fait remarquer dans ces derniers
Jeux olympiques par l’incompétence et le sexisme de son service des sports.

Jean-Claude Renard  • 27 février 2014 abonné·es

France Télévisions n’a pas fait seulement un carton d’audience à l’occasion de la quinzaine des Jeux olympiques d’hiver, à Sotchi, avec 2,5 millions de téléspectateurs en moyenne tous les jours. Le service public s’est surtout fait remarquer pour les commentaires affligeants de ses journalistes et de ses consultants, très largement raillés sur les réseaux sociaux. Le CSA a déjà promis d’étudier le dossier.

On savait qu’on n’échapperait pas au chauvinisme, toujours très présent lors de ce type de compétitions internationales, où s’additionnent les médailles et les cocoricos. On y a eu droit, non sans hystérie pour les cordes vocales quand trois Français s’emparent des trois premières places en skicross. Du classique. Comme les approximations, l’écorchage systématique des noms et prénoms des concurrents de la part d’un service des sports pourtant censé aguerri sur l’identité des champions. Passons sur la publicité à peine masquée de Luc Alphand, consultant, pour les skis Rossignol dont il est aussi l’ambassadeur. C’est encore très classique. Passons sur les querelles internes (et en direct) pour un emploi abusif d’anglicismes autour du snowboard, sur l’annonce précipitée et maladroite, encore en direct, d’une médaille de bronze dans l’interview d’une athlète qui finira seulement cinquième. Passons, quoique cela commence à faire beaucoup, sur les sempiternelles questions de Gérard Holtz (le même qui se réjouit d’une course comme le Paris-Dakar, faisant mine à côté de s’attrister sur chaque victime à chaque édition) : « Comment avez-vous vécu votre course ? », « La quatrième place, c’est rageant, non ? », et « La médaille, vous savez ce que vous allez en faire ? », ou encore, « On a vécu un grand jour ».

À ces questions pertinentes, s’ajoutent les commentaires non moins ahurissants. Palme d’or de la « beaufitude » pour ses blagues salaces, machistes et épaisses, Philippe Candeloro, dont on se demande pourquoi le service public lui renouvelle son contrat de consultant à chaque olympiade, tant ses commentaires sont si peu techniques et principalement sexistes, tournées régulièrement sur le physique des patineuses artistiques. Qu’on en juge : pour une patineuse italienne qui aurait autant de charme que « Monica Bellucci, avec un peu moins de poitrine, mais bon… », ou, à propos d’une autre athlète, dont il connaît « plus d’un anaconda qui aimerait venir l’embêter un petit peu cette Cléopâtre canadienne […], vous pourrez lui dire que c’est pas la seule à être excitée ». Lourd, très lourd. Philippe Candeloro possède son acolyte, Nelson Monfort, en aboyeur lui emboîtant le pas dans la crasse bêtise. Sans scrupules, sans malaise. Sans jamais de remise en question de la part du service des sports. Et son responsable à France Télé, Daniel Bilalian, s’en défend : « Les excès de louanges, comme les excès de critiques, sont à relativiser. Auparavant, une conversation de salon restait dans le salon. Aujourd’hui, Internet a changé la donne… Avec 14 heures d’antenne par jour, il est normal que cela suscite des réactions. Mais pour ceux qui sont mécontents, ils peuvent toujours couper le son ou changer de chaîne. Et si on ne peut pas dire qu’une patineuse est jolie, où va-t-on ? Le succès d’audience nous donne raison. »

L’audience a bon dos. Il n’empêche. De Jean-René Godart à Patrick Montel, de Lionel Chamoulaud à Nelson Monfort, on peut s’interroger sur ce panier de crabes bien installés (si l’on songe à Gérard Holtz, à l’ORTF en 1972). « Ils font de l’événementiel, raconte un ancien journaliste du service des sports de France Télé. Ils sont là seulement pour les JO, le Tour et Roland Garros. On ne les voit jamais. Monfort n’a même jamais fait un reportage. Ce sont les fantômes de la rédac ! » Ceci explique cela. Non pas qu’il faille forcément rajeunir les cadres (Laurent Luyat sauve à peine la baraque). Mais s’entourer de compétences (Canal + le fait très bien). Parce que le journalisme sportif n’en reste pas moins du journalisme. Qui ferait bien d’en finir avec les approximations, les bourdes et les boulettes, les tutoiements à tire-larigot, les moqueries, la subjectivité chauviniste et franchouillarde, les questions ridicules, pour éviter d’être hors-jeu(x).

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