Le petit gros, il nous a bien fait rire

Plus jeune journaliste de France (première carte de presse à 17 ans en 1961), Claude Villers est mort un peu avant Noël, à 79 ans, dans un centre de convalescence en Dordogne. Pour lui qui aimait raconter des histoires, on essaie de raconter la sienne. Et elle vaut le coup !

Didier Delinotte  • 22 décembre 2023
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Le petit gros, il nous a bien fait rire
Le journaliste Claude Villers en 2004 au moment de quitter France Inter après 40 ans de radio, un peu de télévision et des livres en pagaille.
© Jean-Pierre Muller / AFP

Le petit gros, c’était une chanson de Francis Blanche, l’humoriste à la pipe, dont Claude Villers a écrit la biographie (Le tonton flingué, Cherche midi). Villers partageait avec lui son humour vache, sa tendresse et ses nostalgies. On aurait pu intituler cet article « Marx est mort », puisque son vrai nom était Claude Marx, né en juillet 1944 quelque part en Seine-et-Marne dans une famille ouvrière. À 16 ans, il quitte sa famille et plaque ses études pour tenter sa chance à Paris.

Il alterne les petits boulots (il sera même catcheur) avant de faire des piges pour la presse Del Ducca ; Paris Jour ou Ici Paris, et obtenir ainsi sa carte de presse. Mais c’est la radio qui l’intéresse et il entre comme journaliste à Radio Luxembourg en 1964 pour lire des flashs d’information, ce qu’il fera pendant presque deux ans.

Radio Luxembourg devient RTL en 1966 et Claude Villers est recruté sur la station rivale, France Inter, où il est l’assistant de José Artur pour son Pop Club. Il prépare les émissions, contacte les invités et tient l’agenda du baron d’Inter qui n’a plus qu’à papoter avec talent au micro. Au bout de deux saisons, on le remercie une fois son contrat terminé.

Dépité, il part aux États-Unis mais Roland Dhordain lui propose de devenir correspondant de la station là-bas. Il couvrira l’assassinat de Martin Luther King, celui de Robert Kennedy, la convention démocrate de Chicago, l’élection de Nixon et Woodstock où il se rendra sans l’autorisation de sa direction.

Il crée l’émission satirique Pas de panique avec un feuilleton désopilant, Les aventures d’Adolphe, le petit peintre Viennois, des parodies qui brocardent les grands noms de la radio et de la presse.

Il revient en France pour remplacer José Artur en 1971, toujours pour le Pop Club. Artur a été mis à pied pour avoir insulté au micro une nièce de Franco et Villers assure l’intérim avec son ami Pierre Lattès pour la partie musicale, domaine où ses compétences sont limitées. Artur revient en 1972 grâce au bon vouloir d’Arthur Comte et il rentre par la petite porte avec une émission intitulée Qu’il est doux de ne rien faire quand tout s’agite autour de vous, une anti-émission de France Inter présentée par personne. Il reprendra ensuite son Pop Club où Gainsbourg a remplacé Claude Bolling et Les Parisiennes côté indicatif.

Voyages dans la France profonde

Villers présente ses propres émissions, À plus d’un titre d’abord, puis Histoire de voir où il brosse déjà des portraits d’artistes en fonction des programmes télé du soir. En septembre 1973, il crée l’émission Pas de panique avec Patrice Blanc-Francard et Olivier Nanteau. Une émission satirique avec un feuilleton désopilant, Les aventures d’Adolphe, le petit peintre Viennois, des parodies qui brocardent les grands noms de la radio et de la presse (Joseph Arthur, Jean C. pour Jean Cau, Gérard Pire, Anne Braillard…) et Le musée de Pas de panique où Villers dévoile son goût pour les vieilles chansons oubliées. L’émission est supprimée fin 1974, au moment du démantèlement de l’ORTF et il se dit que Giscard n’est pas mécontent de l’initiative prise par la direction.

Ce sera ensuite Marche ou rêve, de 1975 à 1977, une émission de voyages dans la France profonde où toutes les initiatives originales, libertaires et écolos, sont décrites et encouragées. L’été, Villers laisse le micro à des amis comme Pierre Perret, Yves Simon ou Eddy Mitchell. Mais 1978 est une mauvaise année, la droite l’emporte aux législatives, contre toute attente, et fait le ménage à France Inter. Artur et Bouteiller sont relégués à des créneaux impossibles quand Villers doit animer le 7-9, avant une autre émission avec Blanc-Francard (Banzaï) qui ne dure pas avec, curiosité, un jeune chroniqueur du nom de Nicolas Hulot pour une séquence moto (La poignée dans le coin). Écolo un jour…

L’heure de gloire des flagrants délires

Le petit gros a toujours eu le cœur à gauche.

Il refait surface dans un talk-show nocturne, Comme on fait sa nuit on se couche (ou on se touche, dit-il parfois avec malice) en 1979, mais son heure de gloire et de célébrité viendra avec Le tribunal des flagrants délires, l’année suivante. Un tribunal pour rire avec Pierre Desproges pour l’accusation, Luis Rego pour la défense, et où les invités se succèdent à la barre. Le 10 mai 1981, Villers anime, sous la pluie, la fête à la Bastille après l’élection de Mitterrand. Le petit gros a toujours eu le cœur à gauche. Il se fâche avec Desproges pour des histoires de taxi et de notes de frais et l’émission s’arrête en 1982 après deux années de franc succès.

Jean-Noël Jeanneney, le PDG de l’époque, ne lui confie plus d’émission et il fait un peu de télévision à FR3 avant de livrer des programmes clé en main pour des radios libres sous l’égide de PCV (Productions Claude Villers). Puis il fonde avec Pierre Lattès Pacific FM en 1985, mais la radio sera rachetée par le groupe Baudecroux (NRJ, Fun Radio…) et il se recase à RMC comme directeur des programmes. Pas pour longtemps.

Marchand d’histoires

À chaque rentrée, il propose de nouvelles idées d’émissions, la plupart retoquées par une direction frileuse.

C’est Ève Ruggieri qui se souvient de lui et lui confie une émission de service public sur Inter avant de retrouver les tribunaux pour rire et Bienvenue au paradis, toujours avec Luis Rego mais sans Desproges, décédé, remplacé par Dominique Jamet. Il retrouve là sa veine comique et continue avec le Vrai-faux journal, parodie réussie de journal radiophonique qui n’hésite pas à égratigner la Mitterrandie et ses serviteurs. Mais c’est dans Marchand d’histoires qu’il est le plus convaincant, racontant sur une heure des vies de personnages célèbres, biographies expresses où Villers le conteur excelle.

Il enchaîne les émissions humoristiques, passant du matin à l’après-midi avec Tous aux abris (1995) puis Les renseignements généreux (1997) où là aussi il s’agit de brocarder un invité avec une équipe d’humoristes prometteurs dont certains continueront leur parcours chez Ruquier.

Villers change de genre et de format comme il change de chemise, toujours à la recherche de nouveauté et incapable de s’installer dans une émission. À chaque rentrée, il propose de nouvelles idées d’émissions, la plupart retoquées par une direction frileuse, l’œil rivé sur l’Audimat.

Claude Villers fait un peu dinosaure de la radio à l’heure d’Internet, des radios libres, des walkmen et bientôt des podcasts et des réseaux sociaux.

Abonné aux séquences d’auto-célébration

Il occupe une case le dimanche après-midi, Je vous écris du plus lointain de mes rêves, une émission qui combine interviews, voyages et poésie. Villers y apparaît tel qu’en lui-même, un tendre dont la nostalgie se teinte de plus en plus de mélancolie.

Il est attristant d’entendre maintenant le chœur des pleureuses, des sanglots dans la voix, saluer la mémoire d’un grand homme de radio.

L’émission se termine en 2004 et il prend sa retraite à 60 ans après s’être vu refuser une dernière proposition : un rendez-vous consacré aux grands reportages qu’il aurait animé avec le journaliste Nicolas Poincaré. L’idée restera à l’état de projet et c’est Jean-Marie Cavada, directeur de l’époque avant de devenir député européen du parti de François Bayrou, qui la repousse sans explications.

Claude Villers écrira beaucoup : récits de voyage, essais, biographies… En rêveur d’Amérique, il sera toujours fasciné par ce pays sur lequel il était intarissable. On le convie parfois au micro de France Inter où sa voix est désormais difficilement audible, dans des séquences d’auto-célébration comme lors du cinquantième anniversaire de la maison de la radio, en 2013. Il est devenu une caution pour une station qui s’est bien appauvrie depuis la disparition ou le retrait des grands anciens. C’était mieux avant ? Ben oui, et nettement !

Il est attristant d’entendre maintenant le chœur des pleureuses, des sanglots dans la voix, saluer la mémoire d’un grand homme de radio. Sauf qu’il avait quitté France Inter par la petite porte après qu’on lui ait refusé des projets.

Laurence Bloch, ex-PDG, dira notamment qu’elle a eu envie de faire de la radio en écoutant Claude Villers dans sa chambre d’étudiante. Un bel hommage, même si ce genre de personne a largement contribué, avec Jean-Luc Hees puis Philippe Val, à faire de la station un robinet d’eau tiède avec une information centriste, des programmations musicales nulles et des humoristes pas drôles (n’est pas Guillaume Meurice qui veut).

Mais gageons que Claude Villers n’écoutait plus la radio, perdu au plus lointain des ses rêves de voyages, de tendresse et d’amitié. On ne dira pas qu’on a perdu une grande voix de la radio, on a perdu quelqu’un qui nous a appris à vivre.

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