Troubles politiques à Nantes

Les heurts qui ont terni le succès du rassemblement pacifique de dizaines de milliers d’opposants à l’aéroport font monter d’un cran la tension entre socialistes et écologistes.

Patrick Piro  • 27 février 2014 abonné·es

Jean-Marc Ayrault, soutien en chef à l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, a-t-il perdu une bonne occasion de se taire dimanche dernier ? Au lendemain de la grande manifestation pacifique qui a rassemblé à Nantes, selon les organisateurs, plus de 50 000 opposants au projet – et 520 tracteurs –, le Premier ministre appelait ses alliés d’Europe Écologie-Les Verts (EELV) à « sortir de l’ambiguïté ». En cause : le soutien appuyé de la ministre écologiste du Logement, Cécile Duflot, aux manifestants, exprimé la veille, alors que le succès du rassemblement a été amoindri par les heurts provoqués par des centaines de casseurs, qui ont brisé des vitrines et allumé plusieurs incendies dans le centre-ville.

Peu importe que le parti écologiste ait rapidement publié un communiqué « déplorant la présence d’éléments perturbateurs et condamnant fermement les dégradations et les actes de violence ». Dimanche, s’est développé un argumentaire visant à établir la responsabilité des associations à l’origine de la manifestation et, par ricochet, de leurs soutiens politiques – Parti de gauche et surtout EELV. « Il y a eu une espèce de laisser-aller, quasiment de la complaisance », s’émeut Patrick Rimbert, maire PS de Nantes. Christian de Lavernée, préfet de Loire-Atlantique, accuse les organisateurs de « beaucoup de légèreté », ajoutant même que « l’opposition institutionnelle à l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes doit cesser d’être la vitrine légale d’un mouvement armé ». Quant au ministre de l’Intérieur, Manuel Valls, il a forcé le trait, dépeignant les protestataires comme « un millier d’individus de l’ultra-gauche, ainsi que des Black Blocs très violents, qui sont originaires de notre pays mais aussi de pays étrangers ». L’ultra-gauche : un concept flou, popularisé en 2008 par le gouvernement Sarkozy dans l’affaire Julien Coupat afin de catégoriser une mouvance radicale accusée sans preuve de fomenter « des actes terroristes » – le sabotage d’une caténaire de la SNCF, en l’occurrence. Quant aux Black Blocs, ces autonomistes masqués qui s’habillent de noir pour affronter les forces de l’ordre dans les manifestations, on peinait à en distinguer quelques dizaines parmi les casseurs, probablement deux fois moins nombreux que l’estimation du ministre, critiquait Françoise Verchère, conseillère générale du Parti de gauche en Loire-Atlantique et l’une des meneuses de la contestation anti-aéroport.

À quelques semaines d’élections municipales où le PS pourrait perdre plusieurs dizaines de villes, Jean-Marc Ayrault a cependant rapidement fait marche arrière vis-à-vis des écologistes, concédant qu’il y aura « besoin de tout le monde », alors que son coup de semonce se retournait contre lui : « C’est à lui de sortir de l’ambiguïté », a lancé Jean-François Copé, le président de l’UMP, jugeant que cette « ambiguïté » provient du maintien d’EELV dans le gouvernement. De leur côté, les écologistes ont défendu leur participation à la manifestation, soulignant que leur opposition à l’aéroport, parfaitement connue, a été actée par l’accord électoral PS-EELV de fin 2011. La tentative de réduire la contestation de Nantes à un dérapage extrémiste prend aussi l’eau. Alors que les déprédations des bonnets rouges bretons ont rapidement précipité le retrait de la taxe « poids lourds », les opposants au projet de Notre-Dame-des-Landes ont beau jeu d’exposer que la contestation s’est ancrée nationalement, soulignant l’incohérence et l’entêtement du Premier ministre. Aux multiples critiques économiques et écologiques qui entachent le projet, s’ajoute une forte impopularité. Un sondage, publié la veille de la manifestation, indique que 24 % des Français seulement sont favorables à l’aéroport, quand 56 % le rejettent. Si Julien Durand, l’un des porte-parole des opposants, a dénoncé le recours à la violence, le communiqué des organisateurs de la manifestation se félicite d’une « mobilisation inégalée » et retourne la responsabilité de la violence contre le gouvernement. « Il est sourd à la contestation anti-aéroport, il n’est pas étonnant qu’une certaine colère s’exprime. »

Plusieurs observateurs redoutent désormais une nouvelle action de police sur le site pressenti pour l’aéroport, la zone d’aménagement différée, rebaptisée zone à défendre (ZAD) par ses occupants, lesquels constituaient probablement une part importante du contingent des casseurs de Nantes. Fin 2012, des centaines de CRS avaient investi les lieux pendant des semaines, détruisant sans ménagement cabanes et potagers pour chasser, en vain, les « zadistes ».

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