Européennes : le mensonge du PS sur les travailleurs détachés

Les socialistes font des nouvelles règles de la directive sur le détachement de travailleurs, adoptées en avril, un argument de campagne pour les élections européennes. Avec la promesse de lutter contre le dumping social. Un vœu qui ne s’est pas réalisé au Parlement européen.

Thierry Brun  • 8 mai 2014
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Européennes : le mensonge du PS sur les travailleurs détachés

La campagne pour les élections européennes du 25 mai va bon train pour les socialistes européens, mais avec des arguments électoraux qui laissent dubitatifs. L’un d’entre eux revient régulièrement dans les débats. Socialistes français et sociaux-démocrates allemands s’affirment au cœur de la bataille pour l’amélioration des droits des travailleurs détachés avec la promesse d’un « salaire minimum en Europe » . « Que les travailleurs puissent travailler librement dans les autres pays de l’Union est une chance, mais qui ne doit pas faire rimer opportunités avec précarité » , peut-on lire dans la proposition n° 32 de la plateforme en ligne intitulée: « Choisir notre Europe », mise en place par le PS (voir ci-dessous).

Plateforme de campagne du PS

Les candidats aux élections du 25 mai, le social-démocrate allemand Martin Schulz , président du Parlement européen, et Pervenche Berès, députée socialiste , présidente de la commission de l’emploi et des affaires sociales du Parlement européen, ont une fâcheuse tendance à embellir le nouveau dispositif d’encadrement des travailleurs détachés, adopté le 16 avril. Les nouvelles dispositions de la directive de décembre 1996 sur le détachement des travailleurs dans l’Union européenne serait ainsi « un pas vers l’Europe sociale des travailleurs » , indiquait fort opportunément un communiqué du PS, quelques jours avant les élections municipales.

Illustration - Européennes : le mensonge du PS sur les travailleurs détachés

Certes, de nouvelles règles liées au détachement de travailleurs s’imposent depuis de nombreuses années, du fait que la directive de 1996 « ne prend tout simplement pas la mesure des risques de fraude qu’il induit. Rapport d’Eric Boquet sur le détachement de travailleur{: class= »spip-document text-left »}
La question des contrôles n’est abordée que de façon sommaire, par l’intermédiaire d’une incitation à mettre en place une coopération administrative entre les États »
, souligne le rapport parlementaire du député communiste Eric Boquet , intitulé : « Le travailleur détaché : un salarié low cost ? Les normes européennes en matière de détachement des travailleurs ».

Une entreprise peut en effet « détacher » ses salariés pour quʼils travaillent dans un autre pays de lʼUnion et profiter d’un système qui a ouvert la porte aux abus et à un dumping social « légal ». Un employeur européen peut ne pas respecter la totalité du droit social du pays d’accueil, notamment les cotisations sociales, salariales et patronales, qui doivent être payées dans le pays d’origine. Ainsi, pour lutter contre les abus, les députés européens ont approuvé « une meilleure protection des travailleurs détachés » , affirme Pervenche Berès, en accord avec le rapporteur Danuta Jazlowiecka, député de droite du Parti populaire européen (PPE) .

Illustration - Européennes : le mensonge du PS sur les travailleurs détachés

Le meeting de lancement de la campagne du parti socialiste européen , organisé au cirque d’hiver à Paris, le lendemain de l’adoption de la nouvelle directive, fut un grand moment d’auto congratulation autour de ce « signe clair » du Parlement européen et de la Commission européenne, envoyé à quelques semaines du scrutin. Martin Schulz , candidat à la présidence de la Commission européenne, profite de l’occasion, et des applaudissements, pour lancer : « Nous avons fait un premier pas en renforçant la directive sur le détachement des travailleurs, en améliorant les contrôles pour supprimer les abus » . Le reste de son propos est passé inaperçu : « Mais il faut aller plus loin et remettre cette directive à plat ! Je m’engage à faire réécrire ce texte si nous gagnons les élections ! » . Les nouvelles dispositions de la directive seraient-elles insuffisantes ? S’agit-il d’une habile posture du représentant du SPD, parti membre de la coalition avec la CDU d’Angela Merkel ?

On est loin de l’enthousiasme de Michel Sapin , alors ministre du Travail, qui soutient que l’accord pour les nouvelles dispositions de la directive est « un succès pour la France et pour l’Europe. Il montre que l’Europe peut se construire à travers des propositions sociales ambitieuses » . Le vote du 16 avril indique cependant que la victoire de la « perspicacité française » , selon le député socialiste Gilles Savary, doit beaucoup à la droite : le texte européen a été adopté par 474 voix, dont celles de l’ensemble des eurodéputés de droite et du parti socialiste français , sans celles des sociaux-démocrates allemands… Le vote montre aussi de fortes divergences au sein du groupe des socialistes et démocrates au Parlement européen : sur les 195 députés votant, 55 approuvent la directive, 101 sont contre et 11 s’abstiennent.

Pervenche Berès, qui est aussi tête de liste du PS en Ile-de-France pour les élections européennes , qui a voté la directive avec la droite, semble bien isolée pour affirmer que « cette directive est un pas en avant vers une meilleure protection des travailleurs détachés. Elle améliore la coopération entre États membres et s’attaque aux abus tels que les faux-indépendants et les sociétés boîtes aux lettres » . Dans un communiqué du groupe des socialistes et démocrates, Pervenche Berès va plus loin : « Les socialistes français sont fiers du résultat obtenu, grâce à l’action déterminante du gouvernement français. Cet accord constitue une victoire contre le dumping social en Europe » .

La victoire, Jean-Christophe Cambadélis, alors secrétaire national à l’Europe et à l’International, la voyait dès le mois de mars. Le texte d’accord obtenu par la France « montre qu’il est possible, contre tous les pessimismes européens, d’avancer vers une Europe sociale respectueuse du droit des travailleurs et renforçant l’intégration du marché unique européen » .

Or, certains n’hésitent pas à parler de mascarade électorale. Réagissant à l’adoption des nouvelles dispositions de la directive de 1996, Raquel Garrido, candidate Front de Gauche aux élections européennes en Ile-de-France, indique que « le mécanisme central de solidarité entre donneurs d’ordres et sous-traitants, seul à même de contrecarrer le dumping social et l’exploitation des salariés détachés, a été vidé de son contenu » .

Un propos sans fondement ? En fait, le scepticisme s’impose à la lecture du texte. Commentant l’adoption de la nouvelle directive relative au détachement des travailleurs, Bernadette Ségol, secrétaire générale de la Confédération européenne des syndicats (CES) déclare qu’au « mieux, le Parlement européen a échoué à renforcer l’application de ce qui sont des droits minimum et bien faibles pour ceux et celles qui travaillent temporairement dans d’autres États membres. Au pire, il a compromis la capacité des États membres qui essaient vraiment d’appliquer cette directive de le faire à l’avenir. » La Confédération, dresse un sévère réquisitoire sur la « directive médiocre » :

« Un domaine dans lequel le vote porte atteinte à cette application est celui de la sous-traitance. Il existe dans huit États membres des lois nationales rendant potentiellement responsables toutes les entreprises impliquées dans la chaîne de sous-traitance en cas de violations de contrat telles que le non-paiement des salaires. La Directive d’application adoptée par le Parlement autorise de telles lois pour autant qu’elles soient « proportionnées », donnant ainsi la possibilité à la Commission européenne d’examiner une telle législation à la lumière d’objectifs du marché intérieur prétendument plus importants ».

Selon la CES , « les mesures stipulées dans la directive en vue de lʼapplication de ces droits, et dont l’exécution est laissée à la discrétion des États membres, sont faibles et les sanctions qui peuvent être appliquées ne sont pas définies. Pire encore, un État membre qui contrôlerait avec trop dʼenthousiasme la conformité à ces règles pourrait être forcé dʼen modérer lʼapplication si la Commission européenne décide que cette dernière est disproportionnée » .

Il n’y a guère que la Commission européenne à se féliciter de l’adoption de cette nouvelle directive sur le détachement de travailleur. Un soutien certes de poids dont peut se flatter le parti socialiste. Mais la fin du travail low cost n’est pas pour demain.
.

Temps de lecture : 7 minutes
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