Un tournant du quinquennat

Le vote du 29 avril laisse le gouvernement sans véritable majorité et ouvre la voie à une possible recomposition interne du PS, dont tous les courants ont éclaté.

Michel Soudais  • 8 mai 2014 abonné·es

L’adoption du programme de stabilité inaugure une période d’instabilité politique. Certes, il s’est trouvé une majorité de députés pour approuver le plan d’économies que François Hollande et Manuel Valls devaient transmettre ce 7 mai à la Commission européenne. Mais jamais depuis le début du quinquennat leur majorité n’avait été aussi étriquée : 265 voix (47 % des votants), dont celles de trois députés UDI et de l’UMP Frédéric Lefebvre. Une partie de la gauche a carrément voté contre. C’est le cas des élus du Front de gauche, de 12 des 17 députés EELV ainsi que des 3 députés du MRC qui siègent dans le groupe socialiste. Un groupe où l’on enregistre également l’abstention remarquée de 41 députés PS qui, en dépit des pressions, ont tenu tête au gouvernement et à la rue de Solferino. Le vote du 29 avril marque incontestablement un tournant dans le quinquennat. À l’Assemblée nationale comme au Parti socialiste, il y aura un avant et un après.

Au palais Bourbon, faute de pouvoir compter sur une majorité automatique, le Premier ministre va devoir composer avec une majorité relative qui entend bien monnayer son soutien à chaque texte. Or, pour ne pas être contraint de céder sur des points non négociables à ses yeux de son plan d’économies, Manuel Valls peut être tenté de chercher les voix qui lui manquent chez les centristes de l’UDI, dont une majorité de députés (17) s’est abstenue le 29 avril. Si plusieurs responsables socialistes nient que la question d’un renversement d’alliances soit à l’ordre du jour, le député de Paris Christophe Caresche ne l’exclut pas. Soutien zélé de Manuel Valls, il en rejette même par avance la responsabilité sur ses collègues « abstentionnistes »  : « On ne peut pas dans le même temps, écrit-il sur son blog, refuser la majorité au gouvernement et l’empêcher d’aller la chercher ailleurs ! » Et c’est bien ce à quoi le chef du gouvernement semble déjà se préparer. Le 30 avril, les présidents des groupes parlementaires centristes, le député Philippe Vigier et le sénateur François Zocchetto, partisans d’une « opposition constructive », étaient reçus à Matignon. « Nous avons dit notre disponibilité pour travailler ; travailler, ça ne veut pas dire se compromettre », a déclaré à la sortie Philippe Vigier, qui, avec son collègue sénateur, a demandé à être « consulté très en amont sur les textes ». Au sein du PS, le vote du 29 avril a fait voler en éclats les anciens courants. Et il apparaît difficile de dresser un portrait type des « frondeurs ». Ils sont, suivant le mot de Pouria Amirshahi, « de toutes les tribus » socialistes. Certains sont des proches de Martine Aubry : Jean-Marc Germain, qui fut son directeur de cabinet à Lille et rue de Solferino, l’ancien ministre Christian Paul ou le député de Seine-Saint-Denis Daniel Goldberg ; mais d’autres aubryistes ont approuvé le plan du gouvernement. Pierre-Alain Muet, député de Lyon, est étiqueté « jospiniste ». Élu d’Indre-et-Loire et animateur du groupe de la Gauche populaire, Laurent Baumel s’est fait connaître comme strauss-kahnien. Catherine Troallic, députée du Havre, passait pour proche de Laurent Fabius. Même l’aile gauche du parti, alors que le programme de stabilité heurte de front ce qu’elle a toujours prôné, s’est disloquée. Si quatorze députés membres d’Un monde d’avance, dont Pouria Amirshahi, Henri Emmanuelli ou Pascal Cherki, figurent parmi les contestataires, sept élus de ce courant ne les ont pas suivis dans cette dissidence.

Certains sont élus de longue date, d’autres depuis 2012. Certains sont des élus de base, d’autres ont eu, et parfois ont encore, des responsabilités importantes : Pierre-Alain Muet est vice-président de la commission des Finances, Jean-Marc Germain a rapporté la loi dite de « sécurisation de l’emploi » et est responsable du « pôle mondialisation, régulation, coopération » au sein du nouveau secrétariat national que les membres d’Un monde d’avance ont décidé de quitter. Cette hétérogénéité de parcours peut être une faiblesse, c’est le pari que fait Manuel Valls. Elle peut aussi être un atout si les « frondeurs » décident de s’organiser et de fédérer, sur un clivage réel, ceux qui, au sein du PS, « veulent éviter une politique d’austérité » (Jean-Marc Germain). Une telle recomposition interne n’est pas encore à l’ordre du jour. Pour l’heure, les frondeurs se contentent de se coordonner pour peser dans le débat parlementaire. Ils éprouveront vite si cela suffit à infléchir la politique du gouvernement. Dès le mois de juin, lors de l’examen de la loi de finances rectificative.

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