Naissance d’une contre-culture

Au cœur du San Francisco des années 1960, les Diggers révolutionnent expression artistique et militantisme.

Olivier Doubre  • 18 septembre 2014 abonné·es

Àpartir du milieu des années 1960, des milliers de jeunes convergent vers Haight Ashbury, quartier de San Francisco cultivant un esprit communautaire et frondeur contre le puritanisme dominant et l’ american way of life. En 1964, 40 % des États-Uniens ont moins de 20 ans. Massivement scolarisée, la jeunesse devient un nouvel acteur social. Bientôt surnommé « hippieland », Haight Ashbury se peuple d’une foule bigarrée aux cheveux longs parsemés de fleurs. Très vite, des échoppes spécialisées, tel le Psychedelic Shop, la première à ouvrir début 1966, vont « donner à la communauté hippie le moyen de prendre conscience d’elle-même ». En proposant billets de concerts de rock, revues et fanzines, disques de musique indienne… et « tout l’attirail du fumeur de marijuana ». Si ce quartier n’accueille qu’un millier de jeunes en 1966, ils sont plus de 75 000 l’année suivante, souvent avides des acid tests, immenses rassemblements où l’on consomme du LSD.

Pourtant, dès cette époque, un petit groupe, plus politisé, critique l’individualisme hédoniste de cette jeunesse issue de la classe moyenne, distribue et placarde dans le quartier des tracts fustigeant les violences policières, le racisme et le consumérisme de la société américaine. L’un des premiers commence par ces mots : « L’argent est un mal non nécessaire » ! Car les auteurs de ces tracts appellent surtout à expérimenter « a free life », une vie à la fois libre et gratuite. Ce sont les « Diggers », littéralement « ceux qui creusent » (mais aussi, en argot, ceux qui ont « pigé le truc » ), en référence à un groupe de paysans anglais du XVIIe siècle qui, pour survivre, se sont emparés d’une parcelle de terre seigneuriale et l’ont cultivée collectivement. Leurs lointains héritiers californiens, multipliant happenings théâtraux dans les rues, contribuent ainsi à l’édification d’une contre-société, en ouvrant magasins et dispensaires gratuits et en distribuant des repas gratuits grâce aux dons des habitants. Alice Gaillard, également coréalisatricre d’un beau documentaire sur le groupe, retrace dans ce livre sensible leurs spectacles, déclamations et apparitions géniales enflammant les rues d’Haight Ashbury, les gigantesques fêtes qu’ils organisaient, mais aussi la dure répression dont ils furent victimes. Car ils se font la voix des grandes causes de l’époque : droits civiques, liberté d’expression, lutte contre la guerre du Vietnam… À partir du théâtre et de la rue, les Diggers abolissent la frontière entre artistes et spectateurs, chacun devant « participer » à ce qui se veut une expérience immédiate de libération. Alice Gaillard décrit ainsi l’émergence d’une véritable contre-culture, dont les Diggers constituèrent l’avant-garde.

Idées
Temps de lecture : 2 minutes

Pour aller plus loin…

La gauche et la méritocratie : une longue histoire
Méritocratie 17 décembre 2025 abonné·es

La gauche et la méritocratie : une longue histoire

Les progressistes ont longtemps mis en avant les vertus de l’école républicaine pour franchir les barrières sociales. Mais le néolibéralisme dominant laisse peu de chances aux enfants des classes populaires de s’extirper de leur milieu d’origine.
Par Olivier Doubre
Kaoutar Harchi, Dylan Ayissi : « Le mérite est une notion piège »
Entretien 17 décembre 2025 abonné·es

Kaoutar Harchi, Dylan Ayissi : « Le mérite est une notion piège »

Dans un entretien croisé, Kaoutar Harchi, autrice et sociologue, et Dylan Ayissi, président de l’association Une voie pour tous, remettent en question la notion de mérite dans un système scolaire traversé par de profondes inégalités.
Par Kamélia Ouaïssa et Hugo Boursier
« La société française a découvert que l’homosexualité a été réprimée jusqu’à récemment »
Entretien 17 décembre 2025 abonné·es

« La société française a découvert que l’homosexualité a été réprimée jusqu’à récemment »

Sociopolitiste et historien, Antoine Idier analyse les enjeux de la proposition de loi « portant réparation des personnes condamnées pour homosexualité entre 1942 et 1982 », en passe d’être votée ce jeudi 18 décembre 2025 par l’Assemblée nationale.
Par Olivier Doubre
Quand la justice menace (vraiment) la démocratie
Idées 11 décembre 2025 abonné·es

Quand la justice menace (vraiment) la démocratie

De Marine Le Pen à Nicolas Sarkozy, plusieurs responsables politiques condamnés dénoncent une atteinte au libre choix du peuple. Un enfumage qui masque pourtant une menace juridique bien réelle : celle de l’arbitrage international, exercé au détriment des peuples.
Par François Rulier