Les libéraux pratiquent le déficit budgétaire

L’Allemagne a autorisé la France à transférer 2 points de PIB aux profits.

Liêm Hoang-Ngoc  • 2 octobre 2014 abonné·es

Il y a de quoi être atterré lorsque les éditorialistes et autres économistes officiels font la leçon aux syndicalistes, avec la complicité obscène de présentateurs zélés. L’émission « C dans l’air » du mercredi 24 septembre était particulièrement affligeante. Élie Cohen l’a conclue en affirmant qu’à chaque signe de ralentissement le réflexe est, depuis trente ans, d’augmenter la dépense publique, de creuser les déficits publics et de plomber in fine la compétitivité des entreprises, écrasées d’impôts et de « charges ». Bref, c’est parce que les idées des « keynésiens primaires » de la « vieille gauche taxophile » (sobriquets dont la troïka Aghion-Cohen-Cette nous gratifie) sévissent que les finances publiques et le commerce extérieur sont dans le rouge !

Faut-il le leur rappeler ? La France a enterré Keynes le 23 mars 1983. Depuis, la montée de la dette publique est concomitante du déploiement de la politique de « libéralisation » de l’économie. Que cette politique soit baptisée « désinflation compétitive », « réduction des déficits » ou « politique de l’offre », elle consiste à accroître les bénéfices des entreprises, dont une part croissante a pour destination les dividendes des actionnaires. Ces dividendes représentaient 20 % des bénéfices distribués en 1970, 44 % en 2007, 68 % désormais ! La microéconomie soutient que la baisse du coût relatif du travail aurait dû provoquer un vaste mouvement d’embauche. Or, si la hausse du coût du capital a bien plombé l’investissement, la baisse du coût du travail n’a en aucun cas stimulé l’emploi… Cette politique a eu pour effet de réduire le potentiel de croissance de la France. Les objectifs de croissance fixés dans chaque loi de finances n’ont jamais été atteints. Les recettes fiscales ont été systématiquement inférieures aux recettes prévues, à l’exception de la période 1998-2001, où la cagnotte fiscale a été dilapidée par la gauche plurielle en baisses d’impôts sur les hauts revenus… En 2011, Nicolas Sarkozy a été contraint d’augmenter les impôts que lui-même et ses prédécesseurs avaient baissés au cours des deux décennies précédentes. Il a fait cet « effort », comme son successeur, pour « rentrer dans les clous » des traités européens. François Hollande en dénonce aujourd’hui la rigidité, après avoir fait l’apologie du « sérieux budgétaire ». Le report à 2015 de l’objectif des 3 % de déficits publics, obtenu en 2013 auprès de Bruxelles, lui a permis de disposer de deux à trois dizaines de milliards de marges de manœuvre, qui ont été intégralement consacrés au pacte de compétitivité avec le succès que l’on sait : le CICE a creusé la dette sans relancer l’investissement.

Le pacte de stabilité est-il désormais caduc ? Le 22 septembre, après être allé à Berlin demander la permission à la chancelière allemande, le Premier ministre a annoncé l’abandon de l’objectif des 3 % jusqu’en 2017. Le premier secrétaire du PS prétend que cela permettra d’éviter l’austérité. En vérité, il est d’ores et déjà prévu d’affecter les marges de manœuvre dégagées aux 41 milliards du pacte de responsabilité. L’Allemagne vient donc d’autoriser la France à creuser son déficit, lequel servira à transférer 2 points de PIB en faveur des profits, en contrepartie d’une baisse non négociable de 50 milliards d’euros de dépenses publiques…

Chaque semaine, nous donnons la parole à des économistes hétérodoxes dont nous partageons les constats… et les combats. Parce que, croyez-le ou non, d’autres politiques économiques sont possibles.

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