Régionales : la drôle de campagne

L’onde de choc des attentats a balayé les enjeux locaux d’une élection se jouant désormais sur la sécurité, qui n’est pas de la compétence des Régions.

Michel Soudais  • 25 novembre 2015 abonné·es
Régionales : la drôle de campagne
© Photo : VENANCE/AFP

Voter, mais pour quoi ? Après une semaine de quasi-silence, les candidats aux régionales ont repris en ordre dispersé le chemin des marchés et des réunions publiques. Toutes les familles politiques étaient d’accord pour maintenir les élections à leur date. Les reporter eût été céder aux terroristes. Toutes enjoignent aux électeurs de ne pas déserter les urnes. Avec le même argument : « Voter, c’est résister. »

Mais, après les attentats les plus meurtriers jamais perpétrés en France, les candidats sont aussi unanimes à estimer qu’ils ne peuvent reprendre la campagne comme avant. La semaine dernière, députés et sénateurs ont presque unanimement approuvé la prolongation de l’état d’urgence et le renforcement de ses dispositions. Seuls six députés (trois socialistes et trois écologistes, dont deux démissionnaires d’EELV) ont refusé ces mesures d’exception, sur lesquelles onze sénateurs communistes, une sénatrice EELV et une députée PS se sont également abstenus. À l’ouverture de la campagne officielle, lundi, l’urgence de renforcer la sécurité et la lutte contre le terrorisme a supplanté les débats sur les compétences des Régions. Pourtant, ce sont bien ces questions qui constituent le premier enjeu du scrutin des 6 et 13 décembre, les électeurs étant appelés à élire les équipes qui seront en charge de conduire la politique des Régions pour six ans. Du fait de l’annulation de plusieurs débats télévisés entre candidats, les électeurs n’auront connaissance de ces thématiques que par les circulaires électorales des postulants. Distribuées par la poste, elles ont toutes été imprimées, comme les affiches officielles, avant le 13 novembre. Dans cette drôle de campagne, où les électeurs sont encore moins nombreux que d’ordinaire dans les réunions publiques, le Front national est à son aise. Il avait fait le choix d’une campagne nationale sur la sécurité et contre l’afflux de migrants, et se félicite que plusieurs de ses propositions aient été reprises par l’exécutif, contribuant à valider son discours. Le tournant sécuritaire du gouvernement embarrasse davantage la droite, qui, tout en l’approuvant, en rajoute. En Provence-Alpes-Côte d’Azur, Christian Estrosi a, comme Valérie Pécresse en Île-de-France, mis au cœur de son programme post-13 novembre un « bouclier sécurité » doté de 250 millions d’euros sur six ans. Une démagogie dénoncée par l’écologiste Sophie Camard : « La sécurité n’est pas une compétence régionale », rappelle la co-tête de liste EELV-Front de gauche. « De plus, cette somme représente la moitié du budget annuel d’investissement de la Région, ou encore la quasi-totalité du budget annuel pour les TER ou les lycées. » La sécurité n’est toutefois pas absente des discours des candidats du Front de gauche, qui privilégient « une approche globale ». En Île-de-France, Pierre Laurent, Clémentine Autain et Éric Coquerel estiment, dans une lettre distribuée le week-end dernier, qu’elle ne peut être garantie par la politique d’austérité du gouvernement ; ils demandent « de façon urgente » plus de moyens pour tous les services publics, de justice et de police mais aussi de santé et d’éducation.

Le PS, donné perdant dans une majorité de Régions avant les attentats, fait durer le temps de l’émotion ; il mise sur la réaction de l’exécutif dans la lutte contre le terrorisme et sur le réflexe d’union nationale. Consigne a été donnée à ses candidats de ne reprendre la campagne que le 28 novembre, au lendemain de l’hommage national aux 130 morts des attentats de Paris et de Saint-Denis. D’ici là, ni meetings ni distributions de tracts. « Parce que l’état d’esprit collectif n’est pas du tout à une campagne politicienne classique », faisait valoir Matignon avant une réunion mardi 24 novembre, rue de Solférino, entre Manuel Valls et les têtes de liste régionales, laquelle devait arrêter les modalités de fin de campagne. « Nous ne polémiquerons pas », a juré le premier secrétaire du PS, Jean-Christophe Cambadélis, qui a envoyé au pilon un tract torpillant la droite, tiré à 1,5 million d’exemplaires. Dans une lettre, le patron du PS a appelé les candidats à nationaliser leur campagne autour d’ « un triptyque commun »  : « La guerre totale contre Daech, la sécurité maximale pour les Français et la concorde nationale. » Dans plusieurs Régions, les candidats ont opté pour des « rencontres citoyennes », moins formelles que des réunions publiques, « pour dialoguer sur ce qui s’est passé, sur la demande de protection et le vivre-ensemble ». En Bretagne, Jean-Yves Le Drian, tête de liste, invoquant une « situation exceptionnelle », a lui renoncé à toute campagne pour se consacrer entièrement à la défense, et annoncé que, même en cas de victoire aux régionales, il resterait ministre tant que François Hollande le jugerait « nécessaire ». De quoi relativiser un peu plus l’importance du scrutin.

Politique
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