Simplification? Non, régression !

Voici ce que changerait l’avant-projet de loi de réforme du Code du travail s’il était adopté en l’état.

Michel Soudais  • 24 février 2016 abonné·es
Simplification? Non, régression !
© Photo : YOAN VALAT / POOL / AFP

Le projet de loi transmis par Myriam El Khomri au Conseil d’État compte 129 pages, 7 titres et 52 articles. Il fait régresser le droit du travail sur plusieurs points importants.

Temps de travail

« La primauté de l’accord d’entreprise en matière de durée du travail devient le principe de droit commun », explique l’exposé des motifs. La durée légale du travail reste fixée à 35 heures. Mais la « compensation » des heures supplémentaires effectuées à partir de la 36e heure dépend d’un accord d’entreprise qui pourra descendre sous le seuil de 25 % de majoration jusqu’à présent défendu par les branches professionnelles, sans pouvoir être inférieur à 10 %. À défaut d’accord, la majoration est de 25 % pour les huit premières heures supplémentaires, et de 50 % pour les suivantes. Le projet autorise en outre l’utilisation du forfait-jour dans les TPE et PME pour les cadres et salariés autonomes sans passer par un accord d’entreprise ; or ce régime dérogatoire aux 35 heures permet de rémunérer des salariés en fonction du nombre de jours travaillés par an et non d’horaires hebdomadaires.

La durée maximale du temps de travail passe à 46 heures par semaine, contre 44 auparavant, pendant 16 semaines consécutives, et non plus 12. En cas de « circonstances exceptionnelles », cette durée peut même aller jusqu’à 60 heures, dans la limite de 12 heures par jour. À noter que le temps d’astreinte d’un salarié sera considéré comme un temps de repos, et ne sera donc pas pris en compte dans le calcul de la durée maximale de travail. Et lorsque le salarié interviendra pendant son astreinte, le temps de repos qu’il avait déjà pris avant d’intervenir sera pris en compte dans le calcul des 11 heures de repos. C’est comme si le texte décidait de payer dorénavant les pompiers de Paris à l’acte.

Salaires

Le projet de loi étend les accords de maintien dans l’emploi jusqu’ici réservés aux entreprises rencontrant des difficultés. Au prétexte (vrai ou faux) de développer à terme l’emploi en se restructurant ou de se lancer sur de nouveaux marchés, les entreprises pourront recourir à ces accords qui autorisent une modification du contrat de travail (baisses de salaire, réorganisation ou hausse du temps de travail sans augmentation…) et permettent de licencier ceux qui les refusent.

Licenciement

Une nouvelle définition du licenciement économique précise et élargit les conditions autorisant une entreprise à y recourir. Les difficultés économiques sont caractérisées « soit par une baisse des commandes ou du chiffre d’affaires pendant plusieurs trimestres consécutifs », à charge pour les syndicats d’en définir, dans chaque branche, le nombre, faute de quoi le quota de quatre trimestres s’applique. Soit, c’est nouveau, par une « une réorganisation de l’entreprise nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité », ce qui couvre de nombreux cas de figure. Autres innovations : la filiale en difficulté d’un groupe pourra licencier même si ses filiales à l’étranger sont florissantes ; et les gains et les pertes enregistrés par différentes activités d’une entreprise au sein du territoire national ne se compenseront plus.

Indemnités prud’homales

Le projet de loi les plafonne afin de limiter le pouvoir d’appréciation des juges, comme s’y était essayée la loi Macron, retoquée sur ce point par le Conseil d’État. Le texte introduit un barème à six niveaux, fondé sur l’ancienneté : trois mois de salaire au maximum pour les salariés qui ont moins de deux ans d’ancienneté, six mois entre deux et quatre ans, neuf mois entre cinq et neuf ans, douze mois pour dix à dix-neuf ans, quinze mois au-delà. Cette limitation des indemnités vise à dissuader les salariés de contester leur licenciement.

Autres reculs

Il sera possible de faire travailler 10 heures par jour et 40 heures par semaine un apprenti mineur, « à titre exceptionnel », sans demander l’aval de l’inspection du travail. Le plancher de 24 heures hebdomadaires pour un contrat à temps partiel disparaît puisqu’un accord permet de fixer un minimum d’heures inférieur à ce plancher. Le texte remplace l’examen médical avant embauche (fin de la période d’essai) par « une visite d’information et de prévention effectuée après l’embauche par l’un des professionnels de santé », qui n’est donc plus nécessairement un médecin.

Politique Travail
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