Une ferme urbaine expérimentale en lutte pour sa survie

La mairie de Colombes s’entête : elle veut construire un parking « provisoire » en lieu et place de l’AgroCité, malgré la mobilisation des défenseurs de ce lieu associatif dédié à l’agriculture urbaine.

Vanina Delmas  • 8 février 2016
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Une ferme urbaine expérimentale en lutte pour sa survie

Face aux petits commerces situés aux pieds des immeubles du quartier des Fossés-Jean, au nord de Colombes, une étrange structure de bois sur pilotis attire les passants. L’AgroCité tranche avec le paysage urbain mais a trouvé ses fidèles. Et ce samedi 6 février, ils sont nombreux à être au rendez-vous pour protéger cet îlot de verdure des décisions arbitraires de la mairie. Tous arborent des stickers jaune fluo marqués #SaveRURBAN.

Constantin Petcou, l’un des architectes de AAA (Atelier d’Architecture Autogérée) à l’origine du projet, s’empresse de donner les dernières nouvelles. « Le tribunal administratif a accepté notre recours. Ils vont commencer à comparer les arguments des deux parties mais seulement sur des critères juridiques et ils jugeront ensuite les faits », explique-t-il aux dizaines de personnes regroupées sur les marches. « C’est une petite victoire mais il faut compter sur ces petites victoires pour supporter les mauvaises nouvelles », poursuit-il sous les applaudissements.

Jardins partagés, poulailler, ruches, ferme à lombrics, cuisine collective, lieu de débats, de distribution de l’Amap, d’expérimentation écolo, ateliers pédagogiques… L’AgroCité est devenue incontournable pour les amoureux de la nature du coin et un modèle de ferme urbaine présenté à la biennale de Venise, au MIT, à la COP21 et bientôt à Habitat III, la conférence des Nations Unies sur le logement et le développement urbain durable.

Voir diaporama L’AgroCité de Colombes: un espace de bien-vivre menacé

Pourtant, la municipalité n’a pas souhaité prolonger son bail.

J’ai découvert le lieu en décembre, lors d’une formation par l’École du compost, raconte Maël, maître-composteur. J’y ai passé une semaine entière, on déjeunait tous les midis avec les bénévoles et c’était vraiment convivial et enrichissant. C’est impossible de vouloir s’opposer à un tel projet aujourd’hui.

« On sait qu’il existe un plan B ! »

La convention signée entre les différents protagonistes indiquait bien que l’installation était précaire, mais la mairie s’était engagée à relocaliser le projet. Or, depuis les élections municipales de mars 2014, rien ne va plus entre l’association et la nouvelle maire Les Républicains, Nicole Goueta, qui a repris les travaux de rénovation urbaine dans le quartier. Pour elle, la nécessité de libérer les lieux pour aménager une centaine de places de parking ne fait aucun doute. Ironie du sort, ce parking serait temporaire, juste le temps d’agrandir le parking souterrain privé. D’ailleurs, il y a deux mois, les services municipaux ont réalisé un petit parking à proximité pour montrer leur détermination. Sans tenir compte de la résistance citoyenne.

La mairie fait croire que les bénévoles de l’AgroCité sont contre les travaux de rénovation, signale Patrick Chaimovitch, conseiller municipal d’opposition. Elle cherche seulement à monter les gens les uns contre les autres alors que le but de R-urban c’est justement de créer du lien social. Et puis, on sait qu’il existe un plan B !

L’association a réalisé une cartographie qui répertorie une trentaine de sites capables d’accueillir l’AgroCité mais la mairie fait la sourde-oreille. Aucune rencontre n’a eu lieu. Même l’effet COP21 n’a eu aucune incidence sur les décisionnaires. Des bisbilles politiques que n’acceptent pas les amoureux du lieu. « Je ne comprends vraiment pas pourquoi ils veulent toujours tout changer dès qu’on change de maire ! », s’insurge Fabrice, un jardinier amateur qui vient régulièrement bêcher la terre ici depuis plus de cinq ans.

Car l’AgroCité commence à avoir de l’ancienneté. Imaginé en 2009 par l’Atelier d’Architecture Autogéré (AAA), le projet de résilience urbaine R-urban séduit l’ancien maire PS de Colombes, Philippe Sarre, qui leur confie un terrain municipal en friche dans un quartier populaire de la ville.

Notre objectif était de se servir des dents creuses de la ville pour installer un lieu de vie, de rencontre autour de l’environnement. C’est mieux que de détruire pour ensuite construire des écoquartiers, raconte Benoît Wulveryck, président de l’école du compost. Ici, nous faisons de l’humus, c’est la même chose que l’humain.

Deux ans plus tard, l’AgroCité sort de terre, ainsi que Recyclab, dédié au recyclage. La mairie, la région et même l’Union européenne financent l’espace qui a coûté 1,3 millions d’euros. « Pour une fois que l’Europe participe à des projets solidaires et utiles, je vais me battre pour qu’il se maintienne », clame l’eurodéputé Pascal Durand, présent ce samedi aux côtés des bénévoles.

Le brouhaha est chaleureux et l’odeur du couscous fait maison donne faim, même en plein après-midi. Les signatures au bas de la pétition affluent. La musique de la fanfare des Bellettes brass band couvre le bruit des voitures qui roulent sur la D909 à quelques mètres des jardins. Soudain, des dizaines de vélos débarquent. L’association Vélorution a décidé de faire son arrivée à Colombes pour montrer son soutien. « Les automobilistes sont un peu plus tendus ici, ils ont moins l’habitude de voir autant de vélos. Et puis, la police municipale nous attendait… », glisse un cycliste à peine arrivé. En attendant l’issue de la bataille juridique engagée, Constantin Petcou craint que les bulldozers ne viennent tout détruire dès le mois de mars. « On dormira là s’il le faut ! », crient les défenseurs du lieu, comme s’ils étaient à Notre-Dame des Landes.

Écologie
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