L’inquiétante musique de Manuel Valls

Dans un essai documenté, Noël Mamère et Patrick Farbiaz décortiquent le néoconservatisme incarné par le Premier ministre et appellent la gauche à reprendre la bataille culturelle.

Denis Sieffert  • 11 mai 2016 abonné·es
L’inquiétante musique de Manuel Valls
© DOMINIQUE FAGET/AFP

Durant la campagne présidentielle de 2007, Manuel Valls avait soutenu Ségolène Royal et son slogan de « l’ordre juste ». Mais, quatre ans plus tard, dans la course de la primaire à gauche fin 2011, le futur Premier ministre de François Hollande trouvait le programme de son ancienne championne empreint d’un dangereux gauchisme. « Je veux, martelait-il, dans le livre qu’il venait de publier [^1], réhabiliter l’ordre en tant que tel, dans ses vertus structurantes et libératoires pour l’individu. Non pas “l’ordre juste”, mais “juste l’ordre”. » Et le prétendant de se revendiquer d’une fière lignée de « républicains » qui, de Bonaparte à Adolphe Thiers, de Clemenceau à Jules Moch, ont contribué à « réinstaller l’ordre et l’autorité dans leurs vertus premières ». Pour ce qui est de l’ordre, Thiers, avec près de 30 000 ouvriers parisiens tués à la fin de la Commune, s’y entendait… En guise de programme, Manuel Valls tenait à préciser : « Le défi pour la France sera de renforcer chaque maillon de la chaîne d’autorité : l’individu, la famille, l’école, la police, la justice, l’État, l’Europe et, en dernier lieu […], le président de la République. » On a sans doute échappé au travail et à la patrie.

Militants écologistes de longue date, le député Noël Mamère et Patrick Farbiaz, l’initiateur de la Semaine anticoloniale, tous deux en rupture de ban avec EELV, poussent aujourd’hui dans ce Contre Valls (après leur Contre Zemmour, en 2014, chez le même éditeur) un salvateur « coup de gueule » à l’encontre du Premier ministre. Mais ce « pamphlet » aussi bienvenu que sérieux ne se contente pas de recenser les coups de menton et autres sorties hallucinantes d’un homme qui a de plus en plus de mal à se dire lui-même de gauche. L’ouvrage s’emploie à analyser sa politique et ses filiations idéologiques, en montrant avec rigueur comment « le néoconservatisme » incarné par l’ancien maire d’Évry « gagne la gauche ». Car à Matignon, d’une contre-réforme néolibérale à l’autre, celui-ci « déstabilise » la gauche, tout en ne cessant « d’accompagner l’offre sécuritaire », véritable « capitulation en rase campagne » du point de vue idéologique. En particulier depuis les attentats de novembre 2015, où Valls se fait le chantre d’une « guerre culturelle [qui] prend automatiquement pour référence l’identité », ce « nouveau paradigme et poison de ce début de siècle ».

Pour autant, Mamère et Farbiaz ne se contentent pas de dénoncer : avec cette « réponse aux néoconservateurs », ils appellent aussi la gauche, la vraie, à aller plus loin en proposant « un nouveau récit » qui puisse démonter la manipulation « identitaire » et « occidentaliste ». Et à reprendre la « bataille culturelle », puisque finalement, entre mouvement social, Nuit debout et autres ZAD, « les idées d’autonomie, de commun, de cosmopolitisme, d’écologie sociale n’ont jamais été aussi vivantes ».

[^1] Sécurité. La gauche peut tout changer, Éd. du Moment, 2011. Tout un programme pour ce manifeste d’un candidat à la primaire dont le score resta à un seul chiffre…

Idées
Temps de lecture : 3 minutes

Pour aller plus loin…

François Sarano : « Il y a une vraie lueur d’espoir pour les océans si on s’en donne les moyens »
Entretien 9 juin 2025 abonné·es

François Sarano : « Il y a une vraie lueur d’espoir pour les océans si on s’en donne les moyens »

L’océanographe et plongeur professionnel ne se lasse pas de raconter les écosystèmes marins qu’il a côtoyés dans les années 1980 et qu’il a vu se dégrader au fil des années. Il plaide pour une reconnaissance des droits des espèces invisibles qui façonnent l’équilibre du monde, alors que s’ouvre ce 9 juin à Nice la Conférence des Nations unies sur l’océan (Unoc).
Par Vanina Delmas
L’insurrection douce, vivre sans l’État
Idées 4 juin 2025 abonné·es

L’insurrection douce, vivre sans l’État

Collectifs de vie, coopératives agricoles, expériences solidaires… Les initiatives se multiplient pour mener sa vie de façon autonome, à l’écart du système capitaliste. Juliette Duquesne est partie à leur rencontre.
Par François Rulier
Isabelle Cambourakis : « On ne pourra plus revenir à une édition sans publications féministes »
Entretien 4 juin 2025 abonné·es

Isabelle Cambourakis : « On ne pourra plus revenir à une édition sans publications féministes »

Il y a dix ans, les éditions Cambourakis créaient la collection « Sorcières » pour donner une place aux textes féministes, écologistes, anticapitalistes écrits dans les années 1970 et 1980. Retour sur cette décennie d’effervescence intellectuelle et militante avec la directrice de cette collection.
Par Vanina Delmas
« Si ArcelorMittal tombe, c’est l’ensemble de l’industrie française qui tombe »
Entretien 27 mai 2025 abonné·es

« Si ArcelorMittal tombe, c’est l’ensemble de l’industrie française qui tombe »

Alors qu’ArcelorMittal a annoncé un vaste plan de suppressions de postes, la CGT a décidé d’entamer une « guerre » pour préserver les emplois et éviter le départ du producteur d’acier de l’Hexagone. Reynald Quaegebeur et Gaëtan Lecocq, deux élus du premier syndicat de l’entreprise, appellent les politiques à envisager sérieusement une nationalisation.
Par Pierre Jequier-Zalc