Cette Chine aux deux visages

Alain Wang décrit l’alliance d’une économie ultralibérale et d’un système politique fermé.

Denis Sieffert  • 5 octobre 2016 abonné·es
Cette Chine aux deux visages
© Photo : Ju Huanzong /Xinhua/AFP

La Chine est le pays des superlatifs. Dix-neuf humains sur cent sont aujourd’hui chinois et, depuis le début du XXIe siècle, la population a crû de 60 %. Mais ces chiffres ne rendent compte qu’imparfaitement des transformations que ce pays a connues depuis la mort de Mao, en 1976. Le sinologue Alain Wang décrit et analyse cette évolution dans un ouvrage riche en informations. On est loin, nous dit-il, du temps des vélos et des vieilles limousines Hongqi surmontées de drapeaux rouges, véhiculant les cadres du parti. Ce sont des millions de voitures de marques étrangères qui engorgent aujourd’hui boulevards et échangeurs. Depuis le début des réformes, ce sont quinze milliards de mètres carrés qui ont été construits, et les prix de l’immobilier flambent, renvoyant la classe moyenne toujours plus loin en périphérie.

Les enseignes occidentales ont envahi des villes tentaculaires, et des milliers de McDo et de Kentucky Fried Chicken invitent à un consumérisme compulsif. Une hyper-croissance qui a engendré de gigantesques problèmes environnementaux que la classe dirigeante commence aujourd’hui à prendre en compte. Mais alors, à quoi sert le parti dans cette galère ultralibérale ?

Alain Wang répond à cette question dans ses chapitres les plus passionnants, consacrés aux années de l’après-Mao. Le personnage central est évidemment Deng Xiaoping. C’est lui qui, sans jamais le dire, a rompu avec le maoïsme avec son célèbre aphorisme : « Peu importe que le chat soit noir ou blanc pourvu qu’il attrape la souris. » C’est Deng qui lance la politique des « quatre modernisations » : agriculture, industrie, sciences et technologie, et défense nationale. Mais, lorsqu’un électricien du zoo de Pékin s’avise, sur un dazibao, d’en ajouter une « cinquième », « la démocratie », il se retrouve en prison. Et lorsque la jeunesse proteste, en juin 1989, sur la place Tian’anmen, Deng fait tirer sur la foule. « Le gouvernement, écrit Wang, achète la docilité politique du peuple » contre la promesse d’une société de « prospérité relative ». Très relative, d’ailleurs, car, si le capitalisme d’État a donné naissance à une classe d’entrepreneurs et de cadres locaux qui se sont considérablement enrichis, il a aussi creusé les inégalités.

Depuis Mao, deux cents millions de paysans, marginalisés par la décollectivisation, ont migré vers les villes, où ils sont exploités dans des entreprises qui exportent leur production à vil prix vers l’Occident. Quant au parti, il est surtout un réseau de connivences où il faut être pour s’enrichir. Au risque d’être parfois victime d’une campagne anti-corruption, comme celle lancée par l’actuel président, Xi Jinping. Des purges qui masquent souvent des changements de personnel politique. Ultralibéralisme économique et impasse démocratique : et si la Chine préfigurait l’évolution de nos sociétés occidentales ?

Les Chinois, Alain Wang, Taillandier, 300 p., 20,90 euros.

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