Le fantôme et le repenti

François Hollande s’en va dans l’incompréhension, et Manuel Valls poursuit dans le déni. Si le « peuple de gauche » les a lâchés, c’est la faute du peuple de gauche.

Denis Sieffert  • 7 décembre 2016
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Le fantôme et le repenti
© Photo : Joël Saget/AFP

Il ne voulait plus entendre parler de « socialisme », parce que le mot est « dépassé ». Bien avant François Fillon, il voulait « déverrouiller » les 35 heures. Dans un conclave du Medef, il déclarait son amour de l’entreprise. Il voulait en finir avec la « gauche passéiste », celle qui s’accroche à son code du travail et à ses acquis sociaux. Il n’avait pas de mots assez durs pour ces sociologues qui veulent « comprendre » le jihadisme pour mieux « l’excuser », et ces défenseurs des Roms qui n’ont pas compris que ces étrangers « ont vocation à rentrer chez eux ». Il promettait la foudre à ces écologistes qui s’opposent à l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes. Vous l’avez reconnu : c’est Manuel Valls. L’homme du 49-3, qui a imposé à la hussarde la loi la plus antisociale du quinquennat. Le chef de clan, perpétuellement en guerre contre ses « frondeurs ». Le voilà donc candidat à une primaire pourtant bel et bien qualifiée de « socialiste », et contraint de revêtir à la hâte des habits de gauche dont il n’a eu de cesse de se dépouiller.

En trois ans de présence à Matignon, Manuel Valls n’a jamais perdu une occasion d’insulter l’avenir. Et voilà que l’avenir, comme aurait dit François Hollande, « c’est maintenant ». Un peu plus tôt que prévu. D’où cet incroyable exercice de repentance auquel on a assisté lundi soir depuis sa mairie d’Évry. Entendre soudain de sa bouche les mots « conciliation », et même « réconciliation », « respect », « écoute », « rassemblement » avait quelque chose d’irréel. Comme cette façon de transformer en « débats » anodins et en innocentes « controverses » les fractures qu’il n’a cessé de provoquer dans son propre camp. Irréelle aussi cette mise en scène trop fabriquée, avec ce public soigneusement sélectionné, et ces applaudissements hors de propos et de proportion. Tout était faux. On en venait à regretter Edgar Faure, l’homme qui disait « ce n’est pas la girouette qui tourne, mais le vent ». Ses volte-face, au moins, avaient plus de brio, et il n’hésitait pas à s’en gausser.

2017 en débats

Nous avons inauguré le 2 décembre une série de débats, en partenariat avec la Fondation Copernic. Premier invité, le sociologue Christian Laval. Nos lecteurs peuvent le voir intégralement sur Politis.fr. Prochain débat le 19 janvier, toujours au Lieu-dit, Paris XXe.

La politique nous offre là ce qu’elle a de pire. Ce qui rend incrédule. Ce qui incite au désengagement ou aux solutions de désespoir. Les amis de Manuel Valls font sans doute le pari de l’oubli. Pas facile, parce que ses rivaux de la primaire, Hamon et Montebourg en tête, ne manqueront pas de le renvoyer à ses contradictions. Et ils ne seront pas les seuls. Plus délicat encore : le désormais ex-Premier ministre aura à assumer deux bilans, aussi peu défendables l’un que l’autre, d’un point de vue de gauche. Celui qu’il partage avec François Hollande : la politique d’austérité, la loi travail, la déchéance de nationalité, le chômage… Et le sien propre, fait de tensions sur les questions de société, et de démocratie brutalisée.

Le pari de Manuel Valls est donc particulièrement hasardeux, d’autant plus que l’emploi du « réformateur moderniste » ubérisant la société lui a été chipé par Emmanuel Macron. Mais restons prudents. Dans un pays en plein doute, tout est possible. La primaire est avant tout une émission de télévision. Une aventure médiatique. Manuel Valls aura dans cette affaire au moins un allié : François Fillon. Il aura toujours beau jeu de dire qu’il y a pire que lui dans notre paysage politique… Le risque existe pour ses concurrents de devoir en bout de course lui emboîter le pas. Quelle situation ridicule ce serait !

Pour mener sa campagne, Manuel Valls a donc quitté Matignon, où il a été remplacé par Bernard Cazeneuve. Après lui, un pouvoir fantomatique va expédier les affaires courantes, avec un Premier ministre intérimaire et un Président sans avenir. Car avant la mise en scène trop bien huilée de la mairie d’Évry, nous avons eu droit à un autre discours. Un moment de vérité humaine, cette fois. En renonçant à être candidat, François Hollande a implicitement avoué son échec. Mais à aucun moment il n’a semblé en comprendre les causes. Tout était « positif » dans le bilan qu’il a égrené, hormis la déchéance de nationalité. On avait le sentiment en regardant cet homme défait qu’il était victime d’une injustice et d’une malédiction. Son discrédit, ces 7 % d’opinions favorables s’abattaient sur lui comme une fatalité. Il avait tout fait bien, et pourtant, il ne pouvait pas se représenter.

Au fond, il y avait tout de même un trait commun aux deux discours, celui de l’Élysée et celui d’Évry, d’apparence si différents. L’un était crépusculaire, l’autre saturé de lumières artificielles, mais ni l’un ni l’autre n’ont fait entendre la moindre remise en cause de la politique néolibérale. François Hollande s’en va dans l’incompréhension, et Manuel Valls poursuit dans le déni. Si le « peuple de gauche » les a lâchés, c’est la faute du peuple de gauche. Terrible cécité ! Si bien que la repentance de Manuel Valls s’apparente davantage à une concession tactique, pour ne pas dire électorale. Un mauvais moment à passer. Mais pas question d’analyse sérieuse d’une faillite politique. S’y laissera prendre qui voudra bien.

Une analyse au cordeau, et toujours pédagogique, des grandes questions internationales et politiques qui font l’actualité.

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