La Macédoine, aubaine d’Aube dorée

La controverse nationaliste entre Athènes et Skopje fait grimper le parti néonazi dans une Grèce en plein marasme. La droite pourrait en tirer profit aux législatives de 2019.reportage

Angelique Kourounis  • 28 février 2018 abonné·es
La Macédoine, aubaine d’Aube dorée
© Manifestation antifasciste contre Aube dorée en 2014.Afp/giannis papaknikos

Les chiffres sont tombés dimanche dernier. Une vraie surprise : Aube dorée, le parti néonazi grec, est de nouveau la troisième force politique du pays avec 9,4 % d’intentions de vote, gagnant trois points depuis les sondages précédents. Une poussée « applaudie » sans attendre : le même jour, en fin d’après-midi, une dizaine de personnes masquées et casquées envahissaient le local associatif antifasciste Favela, au Pirée, fusées éclairantes à la main, aux cris de « maintenant vous allez mourir, bande d’enculés ! ». Elles ont cogné dans le but manifeste de tuer, visant leurs victimes à la tête avec des barres de fer et des manches de pioche. L’opération a duré quelques minutes. Les assaillants sont repartis en hurlant « Sang, honneur, Aube dorée ! », le slogan phare du parti, laissant cinq blessés sur le carreau, dont deux ont dû être hospitalisés pour de graves traumatismes crâniens nécessitant de nombreux points de suture.

Présente sur les lieux, Elefteria Tobatzoglou, l’avocate de la famille de Pavlos Fyssas, ce rappeur poignardé à mort par un cadre d’Aube dorée il y a quatre ans, était directement visée. Moins de trois heures plus tard, Aube dorée démentait officiellement sur son site « avoir un quelconque rapport avec cette agression qu’elle condamne fermement ».

Pourtant, ce n’est pas la première fois que les avocats de la partie civile du procès, en cours contre l’ensemble du groupe parlementaire d’Aube dorée et plusieurs de ses partisans, soit 70 personnes en tout, sont visés par des attaques coup-de-poing de la part des militants de ce parti. En septembre dernier, une autre avocate avait été poursuivie et violemment frappée à la sortie du tribunal, et il a fallu « insister », selon Thanasis Kambagiannis, l’un de ses confrères, « pour que la police poursuive les assaillants et accepte la plainte ». Peu avant, Favela avait déjà été attaqué une première fois. La police avait alors arrêté quatre personnes. Lors des perquisitions à leur domicile ont été trouvés des affiches, des armes d’entraînement et du matériel de propagande pronazie. Pour Andreas Tzélis, autre avocat de la partie civile, « il est évident que les sections d’assaut d’Aube dorée ont repris du service ».

De fait, jusqu’à la parution du dernier sondage, on estimait que ce procès, qui vise à démontrer qu’Aube dorée n’est pas un parti politique mais « une organisation criminelle à structure pyramidale et militaire où les ordres viennent d’en haut pour être exécutés par la base des militants actifs », mettait sur la touche le parti néonazi, tombé à environ 6 % d’intentions de vote et affaibli par la défection de deux de ses dix-huit députés, Nikos Michas et Dimitrios Koukoutsis, désireux de se démarquer du groupe et de limiter la casse lors du verdict. Si ce dernier est resté « indépendant » au sein du Parlement, Nikos Michas est passé au Laos, parti souverainiste et populiste de droite ayant participé à la coalition gouvernementale d’austérité en 2011.

Mais le procès en question traîne. Il entre dans sa troisième année, les médias en parlent peu, à quelques exceptions près. Pour Maik Fielitz [^1], chercheur à l’université de Francfort, « si le fait que ce parti soit accusé de violences et d’assassinats ne fait pratiquement plus débat, en revanche, la question macédonienne fait la “une” partout depuis des semaines ». Et de préciser que « tout parti d’extrême droite dépend de campagnes nationalistes pour sa visibilité. Aube dorée ne fait pas exception ».

La Macédoine est une ex-république yougoslave, indépendante depuis 1991. Mais Athènes conteste au gouvernement de Skopje le droit d’usage de ce nom et de ses attributs symboliques, qui font référence à l’histoire hellénique. Si le nationalisme macédonien se porte bien du côté slave de la frontière, même sans néonazis au Parlement, la dispute est du pain bénit côté grec pour Aube dorée et l’ensemble de la droite, toutes tendances confondues. Le 4 février, lors d’une manifestation nationaliste massive, des dizaines de milliers de personnes défilaient à Athènes pour revendiquer l’exclusivité du nom, un mouvement dont le compositeur Mikis Theodorakis a pris la tête. L’engagement de cette ancienne victime de la dictature a légitimé non seulement le rassemblement, mais aussi la présence aux côtés des manifestants du groupe parlementaire d’Aube dorée au grand complet. Une confusion renforcée par la complaisance du musicien, qui s’est contenté de juger que les militants de ce parti, aux déclarations racistes et haineuses et dont les sections d’assaut ont déjà tué par deux fois, « aiment aussi leur patrie, mais d’une façon agressive qui sème la discorde ».

Dès lors, comment s’étonner de la remontée spectaculaire du parti néonazi dans les sondages ? Odysseas Boudouris, ex-député indépendant de gauche et cofondateur du cercle de réflexion « La société d’abord », remarque pourtant : « Il n’y a jamais eu en Grèce de racines d’extrême droite véritable. Cette émergence est avant tout un phénomène collatéral de la domination étrangère, allemande nazie sous l’occupation, puis britannique à la Libération, et américaine par la suite, avec la dictature des colonels. » Thèse que réfute l’activiste Ypopto Mousi, qui réalise chaque semaine pour la webtélé Omnia TV une émission résumant les séances du procès d’Aube dorée. « L’extrême droite grecque s’est développée dans les années 1920 sur fond de guerre gréco-turque et du terrible échange de population qui s’est ensuivi entre les deux pays, expose-t-il. Par la suite, le pays a suivi la ligne des extrêmes droites européennes de l’entre-deux-guerres, avec leur lot de racisme, d’antisémitisme et de collaborationnisme, encouragé par une Église et une éducation ultranationaliste qui persiste encore. »

Quoi qu’il en soit, les dérives nationalistes d’une société piégée par les fantômes douloureux de patries perdues, et même les meurtrissures d’une société laminée par neuf ans d’austérité sauvage et implacable ne suffisent pas à expliquer pourquoi un parti ouvertement néonazi siège depuis maintenant presque six ans au Parlement de ce pays qui se targue d’être le berceau de la démocratie. Une partie de l’explication se trouve dans la persistance de l’impasse économique et sociale que connaît le pays, couplée à la débandade de la gauche et au discrédit frappant l’opposition. _« Depuis main__tenant trois ans_, relève Odysseas Boudouris, _il n’y a plus aucune grande manifestation contre Syriza, la gauche radicale au pouvoir._ _Les gens se sentent désorientés et humiliés parce qu’on n’a pas respecté leur vote de juillet 2015 quand ils ont rejeté à plus de 61 % le plan d’austérité, et parce qu’ils ont conscience que le pays ne contrôle plus rien, qu’il s’agisse de politique fiscale ou migratoire, et surtout économique et sociale. Il est totalement sous tutelle extérieure, et cela va durer encore longtemps. Ce n’est pas parce que le pays sort des mémorandums d’austérité cet été qu’il va redevenir souverain. »_

Ce désarroi se retrouve dans les urnes. « Il y a ceux qui vont s’abstenir, essentiellement des électeurs de gauche, explique Ilias Nicolakopoulos, et ceux de droite qui partiront voter Aube dorée. » Le seul parti que l’on peut qualifier d’extrême droite en Grèce, juge cet analyste réputé. Il n’empêche. « Les trois autres formations proches sont des droites musclées qui entendent de plus en plus influencer Nouvelle Démocratie. »

Le grand parti -conservateur-libéral rêve de revenir aux affaires lors des prochaines élections, prévues en 2019 et, lors de la campagne de 2015, Antonis Samaras, Premier ministre de l’époque et président du parti, promettait déjà « de débarrasser le pays des migrants qui sont devenus les tyrans de notre société ». Son gouvernement comptait deux figures de l’extrême droite grecque décomplexée, Adonis Georgiadis et Makis Voridis, un proche de Jean-Marie Le Pen. Samaras avait lui-même, en 1997, alors qu’il était ministre des Affaires étrangères, créé de toutes pièces la question macédonienne. Loucas Stamellos, activiste qui suit de près le procès d’Aube dorée, en est convaincu : « En Grèce, l’avenir de l’extrême droite réside dans la stratégie de la droite conventionnelle, qui, sur la plupart des dossiers, qu’il s’agisse de l’économie, des questions sociales ou de la question migratoire, adopte le même agenda qu’Aube dorée. »

[^1] Coauteur, avec Laura Lotte Laloire, de Trouble on The Far Right, éd. Transcript-Verlag, ouvrage collectif sur la montée de l’extrême droite en Europe.

À lire aussi dans ce dossier :

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Temps de lecture : 8 minutes

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